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Abus, comment affronter la réalité en milieu chrétien

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Abus, comment affronter la réalité en milieu chrétien

Lourdes, 12 Aout 2021

 

Docteur Isabelle Chartier-Siben

 

 

 

 Ici, à Lourdes nous vivons en plénitude le message chrétien de rencontre, d’attention aux plus faibles, aux plus fragiles, de service auprès des malades. Nous vivons la fraternité entre nous tous, bien portants et malades, sous le regard bienveillant et aimant de la Vierge Marie. Et nous sentons en nous cette joie d’être ensemble.

 

Mais voilà au sein de cette même Église, si belle, si chaleureuse, si aimante, il existe des paroles et des actes qui à la place d’édifier, sèment le trouble, la confusion voire détruisent l’autre. Et on peut le dire sans médire et en étant sûr de ne pas se tromper il existe de véritables horreurs. 

 

 Alors, comment affronter cette réalité ?

 

On en parle tout le temps disent certains, on n’en parle pas assez disent les victimes, 

Il y a des personnes qui se disent victimes pour attirer l’intérêt, la reconnaissance voire des avantages disent les uns, beaucoup savaient et se sont tus par confort ou intérêt, là aussi, disent les autres. 

 

Alors voilà, il nous faut donc affronter cette réalité avec courage, sagesse et compétence. 

 

Être ni dans le déni, ni dans l’affolement ni dans la désespérance.  

 

Il nous faut poser cet acte de foi que ce qu’il se passe aujourd’hui avec toutes ces révélations est un bien salutaire. L’Église sortira grandie de cette épreuve à la condition de l’affronter (le mot n’a pas été choisi par moi) et de la traiter sans hypocrisie sans faux semblants, « sans peur et sans reproche ».

Quand on parle d’abus on parle de relation entre des personnes, de relations qui ne sont pas respectueuses de l’autre, qui sont trompeuses. A la place de « je me suis fait abuser », on pourrait dire « je me suis fait avoir », j’ai été trompée.

Le pape a parlé à plusieurs reprises (d’abus sexuels), d’abus de pouvoir et d’abus de conscience. Ce sont deux manières d’aborder le sujet : l’abus de pouvoir concerne l’abuseur, la manière qu’il va utiliser pour abuser, l’abus de conscience concerne la victime, il va montrer le lieu où la personne est abusée.

 

Mais j’irai plus loin en disant que ces relations abusives, abuseurs-abusés, sont des relations qui de la part de l’abuseur ne sont en rien respectueuses, ni de l’autre, ni de lui-même ; car l’abuseur, en agissant comme il agit ne se respecte même pas lui-même en tant que créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.

 

On voit que dans cette relation abuseur- abusé il s’agit de personnes, il s’agit de prévention et de soin, il s’agit de techniques abusives, il s’agit de droit canonique et de droit pénal et civil, et enfin il s’agit de chacun d’entre nous dans notre cheminement humain et spirituel 

 

 

Et ainsi :

 

  • Affronter la réalité c’est tenir compte de la réalité des situations mais avant cela de la réalité des personnes, de toutes les personnes impliquées.

 

Quand on parle d’abus on ne parle que de personnes à la différence d’autres catastrophes : tremblement de terre, crash d’avion, ….

 

La réalité en termes de personnes, quelle est-elle ? qui est en présence ?

 

1/ Les abuseurs (les personnes qui abusent ou qui ont abusé), les abusés (les personnes victimes),

 

2/ Et comme pour les attentats, on parle de victimes directes mais on se doit de penser aux victimes indirectes : les familles et amis des uns et des autres. On se doit d’y penser, on ne traite pas une situation avec seulement des caractéristiques, des chiffres et de nombres, on traite de la vie de personnes.

Exemple de parents qui apprennent que leur fils prêtre dont ils étaient si fiers  va être reconduit à l’état laïc car il a commis des agressions sexuelles ou ces parents qui vont apprendre que leur fils a été abusé sexuellement lors d’un camps lorsqu’il avait 8 ans ou encore ces frères et sœurs dont la vie va basculer car leur sœur s’est suicidée après avoir été violée mais aussi ces parents qui récupèrent leur fils ou leur fille après 15 ans de vie religieuse, démolis par une communauté déviante et ces autres parents qui croyaient que leur fille vivait heureuse dans sa communauté alors qu’elle passait la plupart de son temps en hôpital psychiatrique après s’être tailladé les veines de désespoir.

 

3/ Et puis il y a les personnes qui découvrent la réalité parfois une réalité qui leur est lointaine (via les médias par exemple) mais parfois aussi une réalité dans laquelle ils baignaient sans le savoir. Exemple de cet homme qui apprend que son accompagnateur spirituel depuis 20 ans a violé 3 femmes.

 

4/ Les personnes qui savaient :

celles qui ont dénoncé sans succès (personnes et associations),

celles qui n’ont rien fait . 

 

Tout cela se mesure en termes de souffrances ; affronter la réalité des abus c’est prendre conscience de cette masse de souffrance des uns et des autres.

 

Évidemment, en premier lieu, la souffrance des victimes. Pour une victime il y aura toujours un avant et un après et les conséquences des abus sont massives ;

 

 La souffrance des abuseurs, mais seulement de certains : 

– Découverte en soi d’une attirance malsaine (certains de mes patients pour y échapper n’utilisent plus internet mais peut on imaginer aujourd’hui quand on est jeune ne plus se servir d’internet ? ou encore d’autres qui après dix ans de mariage n’ont pas pu toucher leur épouse car leur désir est ailleurs)

– Découverte qu’en obéissant à leur supérieur ils ont détruit certains de leur frères et sœurs (j’en reçois beaucoup, les marionnettes) et qu’ils ont participé à un système déviant voire pervers.

 

Et pour moi la ligne rouge du discernement est là, au niveau de la souffrance. Lorsque là où il devrait y avoir souffrance, souffrance personnelle ou souffrance de compassion on trouve de la jouissance ou de la satisfaction. Jouissance personnelle ou satisfaction sociale par goût du prestige, du pouvoir, de l’argent ou du sexe. Et plus pervers, jouissance de la destruction de l’autre. 

On pense à soi, à son désir, au mépris de l’autre. Il peut s’agir de projets magnifiques, construction d’une chapelle, d’un puits en Afrique, mais l’autre dans son humanité est bafoué, il est utilisé comme un objet.

 

Psaume 35

 

 

2 C’est le péché qui parle au cœur de l’impie,

(ses yeux ne voient pas que Dieu est terrible)

3 Il se voit d’un œil trop flatteur pour trouver et haïr sa faute

4 il n’a que ruse et fraude à la bouche, il a perdu le sens du bien

5 Il prépare en secret ses mauvais coups.

  La route qu’il suit n’est pas celle du bien ; il ne renonce pas au mal

 

6 Dans les cieux, Seigneur ton amour ; jusqu’aux nues, ta vérité

7 Ta justice une haute montagne ; tes jugements le grand abîme

8 Tu sauves Seigneur l’homme et les bêtes.

 

 

 II – Affronter la réalité des abus c’est savoir reconnaitre les situations abusives et les différents types d’abus

 

Il peut s’agir :

 

  • De malversations financières (Exemple : le denier du culte exporté en Suisse, les membres d’une communauté religieuse qui vivent d’aumônes voire de travaux forcés alors que le supérieur se fait construire un château…)
  • D’infraction à la loi, au droit des associations, au droit du travail et de la protection sociale
  • D’abus psychologiques, de manipulations mentales caractérisées :

Humiliations, mensonges, mise en doute de la parole et plus grave encore mise en doute ou même négation des émotions et du ressenti de la personne, moqueries, menaces, promesses non tenues, paroles de malédiction, chantage, désinformations, médisance, diffamation, infantilisation, soupçons, rumeurs, divisions, double injonction …

    4 – De maltraitances graves :

Dans ces cas-ci la victime n’arrive pas à être crue, elle a peur et risque réellement de passer pour folle,

Faire dormir dans le placard à balai

Enfermer dans la cave

Fessée déculottée

Insultes graves …

    5- Mais aussi parfois procédés à peine perceptibles et souterrains, un peu comme les images subliminales glissés dans les publicités

    6- Les abus physiques sont fréquents :

Prescription abusive de médicaments en particulier des psychotropes en utilisant d’anciennes ordonnances voire sans consultation de médecin ou avec la participation de médecins soumis à une mauvaise autorité.

(pour mieux prier, pour être plus efficace dans son travail, pour ne pas se masturber…)

Non-respect du temps de sommeil

Excès de travail

Mauvaise alimentation

Coups

 

7- D’abus sexuels pouvant aller jusqu’au viol

 

8- D’abus spirituels

Et en milieu chrétien c’est au nom de Dieu, de l’amour de Dieu pour chacun, au nom du service de l’Église, au nom d’une autorité spirituelle que des abus sont commis. Il s’agit toujours d’une voie autre que celle annoncée dans les évangiles, une soi-disant « voie spéciale, pour élites, pour des élus, une voie permise lorsque l’on atteint un certain degré … ». 

Hors Dieu n’a rien à voir là-dedans. Le nom de Dieu est ici utilisé pour abuser.

 

 

 

 III – Affronter la réalité devient alors reconnaitre la vérité pour prévenir, protéger et soigner. 

 

Pour que là où il y eu tromperie et destruction adviennent vérité et soin.

 

Je m’arrêterai un instant sur l’importance primordiale de la prévention pour qu’il n’y ait plus de victimes et du soin des victimes pour panser la souffrance mais aussi éviter la récidive.

 

La prévention doit à tout prix éviter la création de nouvelles victimes : prévention au niveau des potentiels abuseurs, prévention au niveau de la société dans son entièreté.

 

On ne vit pas dans un monde parfait donc des personnes qui auront des comportements inadaptés voire pervers il en existera toujours. Deux situations se présentent : les soigner quand c’est possible ou les empêcher de nuire.

 

Et tout simplement savoir que cela existe et prendre des précautions, cela appartient à la société toute entière, à tout le peuple de Dieu : ne jamais idolâtrer une personne (des haies d’honneur, des régimes particuliers, de somptueuses fêtes pour les anniversaires, des flatteries …) ne pas obéir dans l’incohérence ( ne pas mettre en jeu la vie d’autrui, ne pas mentir de manière insupportable …),  écouter ses enfants lorsqu’ils disent une chose ou l’autre ( « je me souviens l’avoir dit à ma mère mais celle-ci m’avait dit : finis ton goûter tu raconteras des histoires plus tard »), prendre des références et faire preuve de prudence (on ne confie pas son enfant à quelqu’un dont on n’est pas sûr sous prétexte que les anges vont veiller pendant que l’on sera à la messe ) et surtout  ne jamais croire que l’on protège l’Église en se taisant. 

Combien de fois m’a-t-on dit depuis 20 ans : « arrête l’Église va déjà si mal, n’en rajoute pas ». On a longtemps préféré mettre un pansement pour cacher la plaie purulente.

 

L’avancée de sciences humaines a permis ces dernières années la prise en charge des personnes souffrant d’attirance sexuelle déviantes voire perverses. Et il faut que cela se sache. Il faut que tout jeune qui sente en lui quelque chose de trouble puisse en parler et se faire aider et cela sans honte et sans culpabilité. Il n’y est pour rien.

Il faut à tout prix éviter le passage à l’acte qui fera entrer dans la fabrique de victimes.

 

Par ailleurs, le soin en lui-même des victimes va participer à la prévention. Le soin va apaiser la souffrance des victimes, les aider à reprendre vie mais aussi doit permettre d’éviter la répétition de l’acte mauvais sur soi ou sur les autres.

 

Si la violence n’est pas reconnue pour soi-même, elle ne pourra pas l’être pour les autres et on voit malheureusement des familles dans lesquelles les abus se perpétuent par manque de reconnaissance.

 

 De plus, s’il n’y a pas de mots mis sur la violence subie, sur l’abus subi, la violence, l’humiliation resteront enkystées à l’état pur en soi et se réveilleront à un moment donné en agressivité, heteroagressivité ou

 auto agressivité ; soit dans la reprise, la répétition  de la même scène soit en autodestruction : auto mutilation, ….

 

Ce n’est que tardivement que l’on s’est rendu compte, là aussi grâce aux progrès des sciences humaines, que les maltraitances avaient des conséquences à court terme mais surtout à long terme sur les personnes, enfants ou adultes. L’atteinte est la même que lors d’attentats : le trauma psychique.

 

Et ces conséquences, là aussi il faut les connaître, pour que nous chrétiens sachions être à l’écoute de ces personnes, en particulier si nous avons un rôle de responsabilité ou d’accompagnement

 

Ces conséquences sont d’ordre somatiques (maladies physiques…,) psychologiques (les reviviscences), sociales (perte de chance au niveau professionnel, affectif, …) et spirituelles.

 

Toutes les victimes d’abus et en particulier d’abus sexuels ont eu leur vie qui quelque part a été dissociée car le vécu traumatique n’a pas pu être intégré harmonieusement ; certaines ont leur vie qui a été marquée à jamais par des troubles de leurs relations en particulier sexuelles allant jusqu’à les empêcher de vivre une vie de couple ou de vivre sereinement un célibat consacré. D’autres enfin ont sombré dans l’enfer du déséquilibre psychique.

En milieu chrétien les abus commis entachent douloureusement la relation à Dieu et si pour certaines personnes le choix est de tourner définitivement la porte à cette relation espérée, d’autres titubent durant des années avant de retrouver un certain équilibre.

Dans toutes ces situations d’abus le maitre mot reste la souffrance.

III- Affronter la réalité c’est affronter et surtout accepter la vérité et cela ne se fait pas automatiquement car c’est immensément douloureux pour chacun. Cela demande à la fois un travail humain sur soi et un véritable réajustement de notre foi.

 

Affronter la réalité n’est pas accepter cette réalité en restant les bras ballants (dire que « là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie » est insupportable) mais c’est accepter de voir cette réalité au minimum dérangeante parfois tout à fait sordide, c’est accepter d’être déçu, terriblement déçu, c’est accepter de pleurer avec et sur notre humanité blessée.

 

En découvrant cette réalité des abus :

 

Certains sont très en colère ou dans la haine. Cette colère cache très souvent une grande souffrance : « moi aussi j’ai été abusé et personne n’a jamais rien fait pour moi, cela détruit l’image de l’Église « une et sainte » que je m’étais construite, que vais-je dire à mes enfants ? … »

 

D’autres sont totalement dans le déni. Ce déni, même s’il se comprend par l’immense déception que l’on vit, est dangereux car il facilite la survenue de nouveaux abus.

 

D’autres vivent une culpabilité fort désagréable soit à bon escient soit à mauvais escient (la culpabilité est un tremplin pour changer lorsqu’elle se rapporte à un acte mauvais dont on est conscient et responsable, elle est par contre stérile et destructrice lorsqu’elle enferme dans un vide de sens et de responsabilités).

D’autres encore sont dans la désespérance. (Et veulent quitter l’Église, se faire débaptiser …)

 

 

Pour voir comment avancer en fraternité, je ferai reposer mon propos sur deux citations du nouveau testament :

 

Matthieu 18 : « Quiconque scandalise un seul de ces petits qui croient en moi, il serait de son intérêt qu’on lui suspende une meule d’âne autour du coup et qu’on le précipite dans les profondeurs de la mer. Malheur au monde à cause des scandales ! C’est une nécessité, certes, qu’arrive le scandale, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! Si ta main ou ton pied te scandalise, retranche-le et jette-le loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer dans la vie estropié ou boiteux qu’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds au feu éternel. Et si ton œil te scandalise, arrache-le et jette-le loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer avec un seul œil dans la vie qu’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne du feu.

Prenez garde de mépriser aucun de ces petits ; car je vous dis que leurs anges dans les cieux regardent constamment la Face de mon Père qui est dans les cieux. »

 

Hébreux 12,1-3 et 9a : « Que l’amitié fraternelle demeure. N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que, sans le savoir, certains ont hébergé des anges. Souvenez-vous des prisonniers, comme si vous étiez dans les liens avec eux, de ceux qui sont maltraités, vous qui aussi avez un corps… Ne vous laissez pas enseigner par des enseignements divers et étrangers : car il est bon que le cœur soit affermi par la grâce, non par des aliments qui n’ont servi de rien à ceux qui en usent. » 

 

C’est ainsi prendre conscience qu’en tant qu’abuseur et quel que soit le type d’abus on a besoin d’être éclairé et pardonné, parfois accepter les traitements médicamenteux, psychologiques, psychiatriques voire la prison lorsque cela est nécessaire, accepter d’être éloigné pour ne pas recommencer.

En tant que victime, accepter d’être consolée et pansée, accepter une vie différente de celle qui aurait pu être ou dû être, accepter d’être des chercheurs de vie voire des chercheurs de Dieu.

 

 

Mais surtout pour tous c’est réapprendre à avoir le regard exclusivement tourné vers le Christ en Croix, mort et ressuscité pour nous sauver.

Car de chemin, il n’y en a pas d’autres. Pour moi les victimes sont directement associées à Jésus en croix, la Victime innocente par excellence ; elles participent directement au salut du monde. Et je peux dire qu’à travers mes patients je touche réellement à la sainteté.

Et les abuseurs vont bénéficier de ce salut offert par le Christ et relayé par les victimes innocentes d’aujourd’hui.

 

La fraternité se joue là, sur la Croix, en Christ, le chemin, la vérité et la vie.

 

Paru dans la documentation catholique le 5/10/2021