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La prévention des abus sexuels

LA PREVENTION DES ABUS SEXUELS

 

Intervention au Sénat

 

Docteur Isabelle Chartier Siben

 

 

3 notions sont essentielles à partir d’une seule base : il faut vulgariser l’information

1/ pour que dès les premiers fantasmes mal orientés le pré-prédateur, masculin ou féminin, puisse se faire suivre ;

2/ pour que l’enfant qui a été agressé sexuellement dans la douceur malsaine ou dans la violence soit entendu dans les plus brefs délais par des personnes qui sachent respecter sa parole ;

3/ pour qu’il y ait une reconnaissance juste et saine par l’ensemble de la population de ces sujets ;

 

 

Mon expérience importante dans la prévention du sida m’a permis de me rendre compte qu’une information portait du fruit uniquement si on s’adressait à l’intelligence des personnes. Je me suis toujours attachée à être au maximum au courant des avancées de la recherche pour transmettre un contenu le plus juste possible, le plus scientifique possible sur le sujet sinon l’information glisse comme sur les plumes d’un canard (ex du préservatif qui reste dans la poche). Je pense qu’il doit en être de même pour les abus sexuels, et c’est ce que nous faisons au niveau de l’association à une toute petite échelle. On pourra sortir du déni, de la négligence, du mépris, du mensonge, de la couardise si l’on réussit à montrer de manière objective, scientifique et indiscutable que les conséquences sur l’enfant sont dramatiques et handicapent son avenir ; qu’il ne s’agit pas d’un problème de fragilité ou de caprice.

C’est en tout cas un réel problème de dignité humaine mais aussi de santé publique.

Deux niveaux de prévention :

1 / Lorsque l’agression a déjà eu lieu ; permettre aux enfants de parler le plus précocement possible.

2/ Éviter que l’agression n’ait lieu.

  1. Premier niveau, intervenir le plus précocement possible après l’agression :

 


Savoir accueillir la parole, reconnaître les signes le plus tôt possible.

 

Il existe un silence très particulier qui entoure les abus sexuels chez l’enfant

A. Les adultes ne veulent ou ne peuvent entendre

B. Les enfants ne veulent ou ne peuvent pas parler

 

A. Les adultes ne veulent ou ne peuvent entendre

 

Dans certains cas l’enfant ou le jeune va essayer de parler mais être réduit au silence par un entourage qui ne peut ou ne veut pas entendre. Ce cas est fréquemment rapporté par des personnes qui « craquent » 20, 30 ou 40 ans plus tard.

J’ai certains de mes patients qui disent : « je n’ai rien dit » puis plus tard au cours d’une thérapie réalisent qu’ils ont dit d’une manière parfois très légère ou détournée mais qu’ils n’ont pas réussi à être entendu. Des adultes se souviennent être, enfants, restés des heures à côté de leur maman qui repassait ou cuisinait et ils commençaient à dire un mot ou deux et puis la maman les grondait en leur disant d’aller prendre leur bain ou travailler ou ranger leur chambre…

A la souffrance de l’abus s’ajoute alors la souffrance atroce de ne pas être entendu.

 
C’est pourquoi toute la population doit être imprégnée de la gravité des abus sexuels.
On ne peut entendre, reconnaître que ce que l’on connaît. Les connaissances les plus récentes, en particulier sur les conséquences dramatiques d’un abus sexuel, doivent être vulgarisées.

Tout le monde doit être capable d’entendre :

– les parents, les grands-parents

– les baby-sitters

_ les intervenants de la petite enfance (nourrices, crèches …)

– tous les éducateurs du monde laïc et religieux.

 

 

Et particulièrement aussi le monde médical et paramédical, médecin, pédiatre, infirmière scolaire, psychologue…, mais aussi magistrats, gendarmes…

Il est indispensable que ces personnes au contact des enfants reçoivent une formation initiale puis une formation continue pour savoir reconnaitre et aussi transmettre.

 

Il y a des signes évidents à repérer immédiatement :

– du sang dans la culotte

– une tache évoquant du sperme

– des petits hématomes à l’intérieur des cuisses

Et des signes moins évidents qui doivent mener à s’interroger. On peut les reconnaître

– par le dessin

– par la parole

– par l’observation d’un changement dans le comportement, dans l’attitude, dans le regard.

On peut se repérer par rapport aux photos antérieures.

On peut remarquer une chute brutale de niveau scolaire.

Des comportements inhabituels : pipi au lit, encoprésie, douleurs en allant aux toilettes, intérêt inadapté à l’âge pour les choses sexuelles, masturbation compulsive…
Peur de certaines parties du corps, pudeur soudaine excessive, réaction violente inhabituelle en particulier pour aller en tel ou tel lieu qui ne présentait pas de problème auparavant.

Troubles alimentaires : anorexie ou boulimie…

 

 

 

B. Les enfants ne peuvent ou ne veulent pas parler

 

L’enfant ne peut pas parler de ce qu’il a vécu :

 

  • Il ne possède pas les représentations mentales pour exprimer son vécu
  • Il sent en lui une salissure voire une monstruosité qu’il ne veut pas exprimer (ressenti physique de la profanation de l’innocence)
  • Il est envahi par la honte (lié au phénomène psychologique de l’introjection de l’agresseur dans l’agressé)
  • Il souffre d’une intense culpabilité de même origine que la honte à laquelle peut s’ajouter une culpabilité personnelle (désobéissance, lieux mal famés, sortie nocturne interdite…)

 

Mais aussi

  • Silence imposé par l’abuseur sous forme de secret d’un lien privilégié ou à l’inverse menaces, menaces sur l’enfant ou représailles sur sa famille.
  • Silence « imposé » par l’entourage parce que ce sont des sujets dont « on ne parle pas » et également parce qu’il est impossible à l’enfant de faire le lien entre ce qu’il vient de vivre et l’admiration ou le respect que la famille porte à cet individu.

 

Mais peut-être plus sournois encore :

  • Très souvent l’enfant « protège » ses parents et il préfèrera alors garder ce secret pour lui avec pour conséquence le fait qu’il va endosser la « responsabilité de la faute ». La prise en charge de l’abus par l’enfant va être fonctionnelle sur le plan de l’homéostasie familiale mais totalement destructrice pour lui-même.

 

On le voit ici l’enfant va « faire comme si » le monde était suffisamment sécure et ses parents suffisamment bons pour le protéger.  

  1. Deuxième niveau de prévention, prévenir l’agression, qui présente 2 volets :


1/ éviter que le pervers sexuel ne passe à l’acte

 

 La première nécessité est de faire diminuer le nombre des prédateurs sexuels, autant faire ce peut.

 

J’ai été confrontée à plusieurs reprises à des personnes qui n’avaient pas réalisé que leur comportement relevait de l’agression sexuelle voire du viol : grand adolescent ou adolescente vis-à-vis d’un petit frère ou d’une petite sœur, adulte en difficulté intellectuelle …

 

Il est donc indispensable de vulgariser une première information non culpabilisante qui dit que l’on peut avoir des fantasmes, un imaginaire, des désirs qui orientent sa sexualité vers les enfants. Il faut donner la possibilité à ces personnes de pouvoir reconnaître leur mauvaise orientation sexuelle et les aider à se faire prendre en charge. Il faut éviter à tout prix le passage à l’acte. Donc éclairer sur le fait que ces anomalies existent, qu’elles vont devenir graves si elles ne sont pas traitées.

Insister sur l’interdit absolu de tout contact à connotation sexuelle avec un enfant.


Aujourd’hui il y a aussi Internet et pour les prédateurs sexuels c’est un terrain de chasse extraordinaire et donc il ne suffit pas d’évacuer le prédateur d’une institution ou d’une autre, d’un lieu ou d’un autre, il ne faut pas qu’Internet devienne un refuge.

 

Internet me fait aussi penser à tous les réseaux de pédophiles.

 

Donc information généralisée non culpabilisante pour les fantasmes sexuels qui doit s’accompagner d’une information lourde pour être dissuasive sur les conséquences d’un passage à l’acte.

(Ex du religieux qui ne savait pas que mettre un doigt dans le vagin le conduirait en prison : « s’il l’avait su, il ne l’aurait pas fait »).

 

L’imprescribilité totale de ces actes aurait pour avantage une bienveillance nécessaire vis-à-vis des victimes et serait certainement davantage dissuasive vis-à-vis des prédateurs et de ceux qui ne les dénoncent pas.

 

 

 

2/ éviter que l’enfant ne tombe dans les rets du pédophile

 

Information :

a-  Vis-à-vis de la population générale

Affichage, espace publicitaire, radio, télé et maintenant YouTube (à l’image des micro influenceurs) et tous les moyens modernes de communication.

Il faut savoir trouver les bons mots pour que la prévention ne soit pas elle-même traumatisante et qu’elle ne conduise pas tout le monde à être parano ou à des dénonciations calomnieuses.

b-  Et toujours information ciblée vis-à-vis des spécialistes des milieux médicaux et éducatifs

Il est indispensable que ces personnes au contact avec les enfants reçoivent une formation initiale puis une formation continue.

 

c- Vis-à-vis des enfants, la prévention est très compliquée essentiellement pour deux raisons.
J’entends souvent dire, mais comment l’enfant a-t-il pu se laisser faire ?

1/ car ce sont les mêmes personnes qui vont faire la prévention et les mêmes qui vont agresser.
Celui qui va dire : « ton corps t’appartient, tu as en toi un trésor, que personne ne doit toucher », a le même statut que celui ou celle qui va agresser. Je m’explique si un cadre d’institution, disons à l’école, a fait cette prévention et que c’est un professeur qui abuse comment l’enfant peut-il s’y repérer ?

 

Il est très facilement possible d’éteindre chez l’enfant tous les acquis antérieurs lorsque la parole vient de quelqu’un de confiance, en particulier lorsque les parents ont aussi confiance.

2/ L’abuseur

 

= va prendre l’enfant par séduction ou par surprise ou ruse ou encore par violence :

Ex: oh comme ta robe est belle. L’homme se met à genoux touche la robe et glisse l’autre main dans la culotte

Ex : ton pantalon est tout sale, je vais t’aider à le brosser et l’enfant retire son pantalon

= Et pour les plus grands il s’agit d’une violence sexuelle :

 

  • Qui peut suivre une demande d’aide ou une promesse de quelque chose :

Ex du professeur de théâtre qui attire chez lui un jeune au prétexte qu’il va le faire répéter ou le photographe qui veut faire des photos pour une agence de mannequin ….

       –   Ou qui est justifiée par une flatterie ou une situation exceptionnelle

Ex : « quand on est aussi proche l’un de l’autre tout peut se faire » ou « jamais, au grand jamais, je n’ai rencontré de perle aussi rare que toi… »

Il ne faut pas oublier les actes de torture et barbarie qui peuvent accompagner ces abus sexuels.

 

 

On le voit bien, autant une information à la fois large et ciblée mais toujours compétente est relativement aisée à déployer auprès des adultes, autant la prévention ainsi que le recueil de la parole de l’enfant sont extrêmement délicats à ajuster car ils doivent franchir le mur du silence et les stratégies perverses mises en place par le prédateur.

UNE OU DEUX PROPOSITIONS

 

1/ Il faut veiller à ce que sous prétexte de prévention et de détection on n’en vienne pas à créer chez l’enfant un climat de méfiance, de suspicion voire de paranoïa vis-à-vis de la sexualité et du monde des adultes.

Les générations précédentes ont déjà vu entrer la mort via le virus du SIDA, il ne faudrait pas que les nouvelles générations, dès tout petit, aborde la sexualité en termes d’abus et de violences sexuelles.

Notre rôle à nous adultes est de les protéger sur tous les plans.

 

La prévention, me semble-t-il ne peut s’intégrer que dans un parcours de vie, de développement de soi et de respect de l’autre.

Comme je l’ai montré précédemment attendre que l’enfant parle ou même l’interroger ne permettent pas le plus souvent à sa parole d’émerger ; de surcroit un questionnement direct risque de le déstabiliser et lui faire se poser des questions qu’il n’a pas à se poser.

C’est pour cela que je pense qu’il serait important de mettre sur pieds des formations dans la durée qui donnent à l’enfant et au jeune des repères pour bien grandir. Formations dès la maternelle puis formations au collège ; cheminement positif créé pour aider le jeune à s’inscrire dans la bientraitance, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, qui permettrait ainsi de mettre en lumière à mesure de son déroulement des conduites de maltraitance, de toutes les maltraitances ; et qui permettrait également de poser les justes interdits.

 

Pour ma part l’expérience que j’ai auprès de centaines de grands adolescents montre la pertinence et la force d’une telle démarche ; démarche que les jeunes apprécient et qui permet à certains d’être sauvés. Je pense que cette forme d’intervention est reproductible, de façon adaptée, à toutes les tranches d’âge.

 

 

2/ Il semble aussi extrêmement important d’augmenter le nombre des urgences médico judiciaires en particulier pédiatriques avec un personnel bien formé ; cela de façon à éviter les traumatismes secondaires et les mises en situations inextricables créés par une mauvaise prise en charge.

 

 

 

 

En guise de conclusion :

 

Ce que je crains aujourd’hui c’est qu’après le scandale des violences sexuelles, 1er scandale, le scandale du silence, 2ème scandale, arrive un troisième scandale celui de la parole ; je m’explique, il faut savoir que révéler le traumatisme peut renouveler le trauma. Écouter à tout prix peut être pire que ne rien faire, je le sais car nous récupérons « des personnes qui ont parlé et été écoutées » …. C’est pourquoi je ne cesserai d’insister qu’il ne suffît pas de surfer sur un effet de mode pour s’inscrire dans un bon comportement, il faut aussi être formé.

 

Je ne dis surtout pas qu’il faille se taire, je dis que pour écouter il faut être formée non pas à l’écoute ordinaire, cela ne suffit pas mais à l’écoute du trauma et de l’emprise.