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Soeur Rita, une bataille de plusieurs années pour elle et les autres

Sœur Rita a fait appel à l’association C’est à dire alors qu’elle était encore dans sa communauté. Après sa propre prise de conscience sœur Rita a essayé en interne de faire ouvrir les yeux à chacun, à tous les niveaux de responsabilité de sa communauté. Nous avons dédié une équipe à l’aide à la compréhension des dysfonctionnements, à leur résolution, à la relecture du passé de la communauté et à l’alerte des instances responsables. Rien n’a été entendu, rien n’a été compris, rien n’a bougé. Lorsque sa santé a commencé à se dégrader sœur Rita a été obligée de quitter sa communauté. D’autres ont fait comme elle. Les années ont passé. Sœur Rita s’est reconstruite, aidée par d’autres religieux.

Son écrit est à la fois un récit personnel et après tout ce cheminement une parole d’experte.

1/ Les abus dans une communauté religieuse, est-ce possible ?

Au point de départ, cela est à peine pensable : Comment le supérieur, dans une communauté religieuse, peut-il devenir celui qui maltraite ses religieux ?! Le supérieur n’est il pas celui qui a été choisi, entre autre, pour ses qualités morales ?

Les abus de pouvoir, la violence psychologique, la maltraitance, peut-elle se vivre dans une Communauté chrétienne? Le monastère n’est-il pas le lieu où l’amour est vécu dans la vérité et la simplicité évangélique ?!

Et pourtant, les témoignages sont là. Oui, ce mal ne touche pas simplement la société civile, mais il peut aussi se glisser aussi dans la vie d’un monastère ou d’une communauté. Les religieux ne sont pas des anges, et leurs supérieurs non plus. Il y a certainement beaucoup de germes de sainteté dans les monastères ou les communautés, mais il y a aussi le péché qui agit comme un poison.

Le désir de sainteté ne fait pas tout. Il peut d’ailleurs être confondu avec le désir de perfection. Dans ce cas, ce désir de perfection pour soi ou pour sa communauté peut être tel, que, pour y arriver on finisse par succomber à la tentation de toute puissance en agissant comme un redresseur de tords. On pense faire bien… et on fait mal !

Ceux qui vivent une maltraitance dans le monde du travail, cela reste circonstanciée à leur vie de travail. Quand ils rentrent chez eux le soir, ils arrivent avec cette souffrance, ils ont aussi peut-être d’autres soucis, mais ils arrivent dans leur sphère familiale. Ils ont un autre lieu de vie, d’autres liens, bref… leur vie ne se réduit pas à leur emploi, même s’il a une part importante.

Dans une communauté religieuse cette distinction, n’existe pas. Tout est lié. En règle générale, c’est un seul et même lieu de vie, avec les mêmes personnes. Le supérieur peut avoir autorité sur l’ensemble de la vie quotidienne. De plus, pour le religieux, le lien au supérieur, c’est aussi le lien à Dieu via le vœu d’obéissance.

C’est pourquoi, être aux prises à des abus de pouvoir ou des violences psychologiques venant du supérieur, peut-être terriblement destructeur pour un religieux. C’est toute sa vie, et sa relation à Dieu même qui va être atteinte.

On comprend alors pourquoi, les tromperies au nom de Dieu ont mis à ce point en colère Jésus. Que ce soit les marchands du temple ou les pharisiens hypocrites, Jésus sortait de ses gonds !

2 / L’apparition du mal-être

Les signes de l’abus psychique et spirituel apparaissent, pour la personne abusée, tout d’abord d’une manière diffuse et peu saisissable. Ce que la personne abusée commence à repérer, c’est que la relation avec telle personne (l’abuseur) la déstabilise et devient source de souffrance de plus en plus difficile à supporter.

Le plus souvent, c’est au fil du temps, dans des manières de faire apparemment anodines, mais qui se répètent, que le venin s’injecte et détruit l’équilibre de la personne.

Dans le cas d’un supérieur envers le religieux, un abus spirituel va se manifester dans des paroles moralisantes, culpabilisantes ou infantilisantes. Le supérieur outrepasse son rôle et, au lieu d’éduquer le religieux à la vraie liberté (nécessaire pour l’exercice d’une réelle obéissance), il fait sentir son pouvoir, ne permettant pas au religieux d’exprimer une pensée différente de la sienne. Cette interdiction se fera rarement de manière abrupte, mais plutôt de manière détournée, utilisant le langage religieux (ex : « il t’est demandé d’avoir confiance en tes supérieurs »).

Le supérieur n’est pas quelqu’un qui est forcément parfait, et il paraît normal que des manières de faire ou des paroles ne soient pas toujours bonnes.  Nul n’est exempt d’erreurs en ce bas monde ! Mais là où cela devient grave, c’est lorsque les manières de faire ou les paroles nocives se répètent et s’inscrivent dans le temps.

C’est l’exemple de tel responsable de Communauté, à qui il était demandé un contact téléphonique hebdomadaire avec son supérieur général. Lors de ce contact, le responsable était sensé rendre compte de la conduite pastorale de sa Communauté. Mais, il apparu très vite un excès d’autorité dans la relation. Le responsable local repéra que le supérieur attendait principalement des demandes de conseils. Si cette demande de conseils avait pu s’avérer nécessaire dans les débuts de la charge du nouveau responsable local, cela devint infantilisant au bout de plusieurs années. Mais il était impossible de sortir de ce mode de relation sans attaques sournoises avec des remarques du style : « tu es dans le refus de l’altérité ». Ce qui était faux dans la réalité, puisque le responsable local prenait sans cesse appui auprès des membres de son conseil.  La parole du supérieur resta ainsi figée sur un : « je sais, tu ne sais pas ». C’était d’autant plus étonnant que  le responsable local avait fait ses preuves depuis des années et était reconnu et apprécié pour son gouvernement. Il n’est donc pas étonnant, que ce responsable local, démissionna de sa charge avant la fin de son mandat, car trop atteint dans cette relation qui le minait.

Une telle relation n’aurait pas dû exister. La sagesse de l’Eglise enseigne d’ailleurs la subsidiarité qui protège de ce genre d’abus de pouvoir.

3/ Confusion et incompréhension

Confusion du coté de la victime

Au point de départ, quand le religieux veut parler de cet abus dont il est victime(par exemple : à une autre personne de sa Communauté), il se heurte à la difficulté de la confusion de son expression. Cela vient du fait que :

– La souffrance est vive et l’émotion à fleur de peau, cela brouille son esprit et la clarté de ses propos.

– qu’il a du mal à cerner sa souffrance, il repère juste que c’est lié à cette relation avec son supérieur.

– les faits qu’il essaye d’exposer apparaissent comme anodins et il a peu de matière ou de faits clairs à exposer.

Incompréhension de l’interlocuteur

Conséquences :

  • S’il commence à exprimer sa souffrance, il se peut que son interlocuteur lui rappelle son devoir d’obéissance, de confiance, ou encore, il peut réduire cette difficulté à une explication de type conflit interpersonnel, sans mesurer le déséquilibre du rapport de force.
  • Comme il tente d’illustrer sa souffrance par ces petits impacts anodins et diffus, il est peu crédible. L’interlocuteur va lui répondre « tu exagères» et il va penser en même temps qu’« il est pris dans la souffrance, il manque de recul ». Parfois même, il pourra être considéré comme pris dans le piège du démon.
  • Dans certaines communautés nouvelles, le religieux ou le consacré sera invité à suivre des « sessions de guérison intérieure », estimant que sa souffrance doit être une blessure en lien avec l’autorité. Indirectement, il lui est renvoyé qu’il est porteur de l’origine du mal. C’est une double injustice.

Ce qui est d’autant plus dommageable, c’est que si cela est véritablement un abus de la part du supérieur, cela ne concernera pas qu’un seul religieux. Et, au lieu de soigner le mal à sa racine, on permet que le mal se diffuse dans la Communauté et atteigne d’autres membres qui, eux-mêmes, vont être soit victimes, soit être complices et répéter les mauvais comportements.

Dans ce cas, les victimes sont encerclées par des réactions de groupe et se trouvent isolées, sans recours, sans possibilité d’être véritablement entendues.

La cause (ou : la version) du supérieur sera souvent défendue « sans autre forme de procès » car d’emblée, la confiance est acquise au supérieur. La sincérité du supérieur suffit à le rendre crédible, et la règle de discernement qui différencie sincérité et vérité est oubliée.

C’est ainsi que l’on a vu, dans certaines communautés nouvelles, beaucoup de membres partir les uns après les autres, sans que la véritable cause soit cernée, même si ce n’est pas toujours l’unique cause.

Le double visage du supérieur manipulateur

Pour l’interlocuteur, l’autre difficulté d’accueillir une telle confidence et d’y donner foi, vient du fait que le supérieur qui est à l’origine d’abus, aura un double visage et souvent, tel le manipulateur, il saura se montrer très cordial et prévenant à certains moments, pour rattraper la situation qui commence à le démasquer.

Il a été ainsi vu, qu’à l’annonce d’une visite canonique dans une Communauté, le supérieur change de comportement et devienne d’une grande gentillesse, multipliant les prévenances en tout genre. Les membres de la Communauté, qui étaient alors prêts à exprimer leur trouble de conscience se rétractent : « finalement, notre supérieur est bon, je ne dirai donc rien ». Cela se comprend aussi par le fait qu’il est très culpabilisant pour un religieux de dénoncer les comportements de son supérieur. Sous un autre angle, les psychologues appellent cela le phénomène de « lune de miel ». Dans les violences conjugales, lorsque la femme violentée dépose une plainte au commissariat, le mari va s’adoucir, promettre de changer d’attitudes, et finalement, la femme va retirer sa plainte au commissariat. Cela n’est que duperie.

Il est très difficile aux membres d’une communauté vivant des dérives sectaires de dénoncer eux-mêmes les abus. En effet, comme le note Mgr Vernette : « il est difficile pour des personnes qui se sont investies totalement dans leur engagement dans la communauté aux plans affectif et spirituel, d’entrer dans une démarche de plainte qui les ramène constamment à leurs désillusions et à leur crédulité. » (L’Eglise catholique et les sectes de Mgr Jean VERNETTE paru dans le SNOP, numéro 1086 du 15 janvier 2001.)

Le mal est minimisé

Bien souvent, la souffrance des religieux vivant un abus spirituel est mal perçue.

  • Le supérieur manipulateur, veillera à minimiser la souffrance et à reporter sur le religieux l’origine du mal : Il sera taxé de « fragile ».
  • L’esprit victimaire est très mal considéré dans l’Eglise, et empêche les véritables victimes d’être reconnues comme telles.
  • Bien souvent, seuls de bons accompagnateurs et de véritables thérapeutes repèrent ce type de souffrance et de déviances. Il en manque dans l’Eglise !

La parole confisquée

 

Il existe plusieurs mécanismes qui, au bout du compte, finissent par lier l’expression de la parole.

1/ La réflexion interdite

2/ La parole différente réprimée

3/ la parole trahie et l’atteinte aux relations de confiance

4/ Le refus du véritable échange

5/ La communication perverse

La mise en place du phénomène d’emprise dans une Communauté

 

Comment des personnes de bonne volonté, généralement intelligentes, désirant donner leur vie au Seigneur, dans l’obéissance à l’Eglise, peuvent-elles avancer ensemble dans une perte d’autonomie et de liberté sans s’en rendre compte?

L’emprise subie

Le serpent se mord la queue

Nous avons vu, précédemment, comment le mécanisme d’emprise pouvait se mettre en place dans une Communauté.  La question qui nous intéresse ici est : « mais comment s’alimente cette emprise ? », et, « Ne peut-elle pas être démasquée ? »

La sortie de l’emprise