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La mise en place du phénomène d’emprise dans une communauté

Comment des personnes de bonne volonté, généralement intelligentes, désirant donner leur vie au Seigneur, dans l’obéissance à l’Eglise, peuvent-elles avancer ensemble dans une perte d’autonomie et de liberté sans s’en rendre compte?

Le maillon de compréhension de cette déviance est le phénomène d’emprise. Celui-ci se met progressivement en place, par une manière de pensée unique qui imprègne le mode de vie, les fonctionnements internes, les relations, jusqu’aux modes de réactions.

La liberté individuelle finit par être confisquée par la cause commune. Les personnes deviennent « utiles » ou « inutiles », selon ce qu’elles apportent  à la Communauté. Tout cela peut se vivre avec un langage très religieux.

La difficulté est que la plupart des membres sous emprise le sont parce qu’ils ont adhéré volontairement à ce cheminement. Ils sont sincères. Mais la sincérité n’est pas la vérité.  Dans le langage religieux, c’est ce qui va être appelé « aveuglement ». Ainsi Saul persécuta les chrétiens avec beaucoup de sincérité et de zèle religieux.

Finalement, la plus grande difficulté est que les membres sous emprise, s’en défendent. Cela se comprend : il est difficile de reconnaître que l’on s’est dupé soi-même et en groupe, en avançant sincèrement à la suite du Seigneur.

Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois ([1]) ont résumé « la théorie de l’engagement » comme suit :

– on est d’autant plus engagé que la décision a été libre
– on est d’autant plus engagé que la décision a été publique
– on est d’autant plus engagé que la décision a été répétée
– on est d’autant plus engagé que la répétition a été coûteuse
– on est d’autant plus engagé que l’on ne semble pas pouvoir revenir sur sa décision.

Mais une prise de conscience des membres d’une Communauté, avec l’aide de l’Eglise et d’experts, sera salutaire. Cela permettra d’engager un chemin de purification, de maturité et de pérennité pour la Communauté en question.

Essayons de comprendre la mise en place de ce mécanisme d’emprise, dans le contexte d’une communauté religieuse.

 

[1] Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, (2002).

 

1/ Séduction – fascination

  • L’intelligence séduite. Je suis conquis.

La transmission de vérités théologiques ou de la Parole de Dieu, par un orateur ou un enseignant brillant, introduira son auditeur dans une sorte d’éblouissement, où l’intelligence sera conquise et l’âme élevée. L’apport de la nouveauté de l’enseignement nourrit, fascine. Cela suscite un enthousiasme qui ouvre des perspectives nouvelles. L’enthousiasme ne s’associe pas à la critique et peu à la pondération.

Celui qui est dépositaire d’un tel don ou charisme, va naturellement séduire, c’est-à-dire plaire et susciter la confiance.

De même, l’orateur qui peut faire rire son auditoire, est d’autant plus sûr de le conquérir. Faites vous-même vos propres repères : regardez les personnes qui vous font rire, ne suscitent-elles pas la sympathie et la confiance ? L’humour désarme.

Le danger est que celui qui est séduit, conquis, baisse « la garde », perd sa vigilance, son recul et son esprit critique.

  • Orateur et supérieur

La difficulté qui nous intéresse ici est lorsqu’un tel orateur est en même temps le supérieur.  Il est important de considérer que la parole du supérieur, induira nécessairement un esprit d’obéissance. L’esprit d’obéissance impliquant également une notion de confiance.

  • Comment repérer qu’un supérieur exerce une emprise sur ses membres ?

 

  • Sa parole tombe comme des vérités qui ne laissent pas d’espace, des vérités péremptoires Les membres n’ont plus l’idée d’exprimer une pensée autre. Ils n’osent pas s’exprimer librement.
  • Il juge de tout, peut intervenir dans tous les domaines selon les opportunités et tous les membres s’en réfèrent à lui.
  • Il se pose comme un « redresseur de torts » et suscite une peur inconsciente. Il vaut mieux être avec lui qu’en dehors de lui.

2/ La transmission de l’emprise

  • Les conseillers relaient l’emprise

Généralement, un supérieur exerçant une réelle emprise, n’est pas seul. Il fait des émules, il fédère. Ceux qui l’entourent se font eux-mêmes nécessairement les relais d’une manière de penser, de réagir, ils ne pourront prendre la distance nécessaire. Une sorte de mimétisme se met en place. Les repères de discernement, les modes de réflexion et de réaction deviennent les mêmes, jusque dans les expressions.  Ainsi, sans le savoir, les conseillers ou collaborateurs du supérieur transmettent l’emprise.

Il faut comprendre également que l’emprise est de l’ordre de la démesure. Il est donc difficile d’exercer le contrepoids correspondant. Les quelques tentatives de régulation des conseillers ne seront jamais à la mesure de la démesure, mais elles leurs donneront l’illusion d’agir.

  • Voir sans voir.

Les conseillers d’un tel supérieur peuvent être témoins d’abus sur tel ou tel religieux, ou d’un aspect de son autoritarisme, mais il est improbable qu’ils puissent prendre réellement conscience de l’emprise que le supérieur exerce car eux-mêmes en subissent l’influence constante. Eux-mêmes ont dû accepter une forme de soumission pour continuer d’exister à ses cotés. Inconsciemment se met en place le système de protection : il vaut mieux être avec lui de face que contre lui, de face.

Certains de ces conseillers peuvent susciter la confiance et donc les confidences. Mais n’ayant pas conscience du mécanisme, ils peuvent, pensant bien faire, en avertir le supérieur. Sans le savoir, ils trahissent le religieux et donnent des éléments d’information au supérieur, qui s’en servira pour le réprimer.

Première conclusion : Les conséquences

 

Une personne est sous emprise lorsqu’elle n’exerce plus profondément sa liberté, mais est aliénée par une autre personne ou un groupe qui exerce sur elle une autorité ou influence démesurée. Emportée par la séduction, et par ses multiples acquiescements ou même engagements à ce processus, elle entre dans une sorte d’aveuglement psychique et intellectuel.

Une personne qui est entrée sous emprise ne s’en rend pas compte, et pense sincèrement exercer sa liberté de pensée et d’agir. Elle s’appuie sur le fait qu’elle reste l’auteur de ses paroles et de ses engagements, mais elle est incapable de considérer que l’influence qu’elle subit a pris la tournure d’une emprise.

 

Sœur Rita, accompagnatrice