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Abus et vie intérieure

Abus sexuels sur religieuse et religieux et intériorité

 

Cette réflexion a été proposée en janvier 2019 par l’association « C’est à dire » dans un cycle de rencontres avec l’AVREF.

 

On pourrait penser que, comme il s’agit de relations sexuelles entre adultes, généralement sans violence physique, les conséquences ne sont pas très graves. C’est tout le contraire. Ceci illustre un mécanisme peu décrit de l’abus, qui a à voir avec l’intimité personnelle. Un peu d’anthropologie est nécessaire.

 

L’homme est une monade, une unité personnelle, mais qui n’est pas absolue. Elle a la possibilité de fusionner, de deux façons. Elle peut le faire dans la conjugalité, la sexualité en étant l’expression typique et en quelque sorte le sommet. Elle peut le faire avec Celui qui l’a créée, dont la théologie nous dit qu’Il est présent en elle, et la mystique que c’est possible, en attendant une future réalisation  plus complète (dans l’au-delà).

 

Ces deux possibilités de « fusionner » définissent deux lieux intérieurs de l’intimité personnelle.

 

L’abus sexuel de personnes ayant autorité, sans projet conjugal, est un abus qui « viole » le premier lieu, c’est-à-dire pénètre dans ce premier lieu sans en respecter les règles. L’aspiration à fusionner avec Celui qui nous a tous créés est le propre de la vocation et de la vie religieuse. Utiliser les ressorts de cette aspiration pour une autre fin que l’union à Dieu est le propre de l’abus spirituel. C’est un « viol » de ce qui est sans doute l’aspiration la plus profonde et la plus durable de l’être humain.

 

La victimologie dans ses formules les plus officielles, par exemple le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), n’a pas encore pris conscience du lien structurel entre l’intimité humaine et les abus et leurs conséquences pathogènes. Il tend à parler exclusivement de la violence. Mais qu’est-ce que la violence ? Les définitions juridiques vont plus loin, en parlant de la surprise.

 

Ce qui constitue l’abus ce n’est pas tant la violence, qui n’est pas toujours présente de façon matérielle et physique, mais l’entrée par effraction dans l’un de ces deux lieux de l’intimité humaine. L’abus sexuel sous emprise de religieuses et religieux est particulièrement grave car il viole simultanément ces deux lieux de l’intériorité et de l’intimité humaine ; d’un côté par l’acte sexuel avec une personne qui par son statut n’a pas de projet conjugal ; et par l’emprise qui utilise faussement les paroles et les moyens de l’union à Dieu pour réaliser son forfait.

Abus et Vocation – une relation complexe

 

 

Cette réflexion a été proposée par l’association « C’est à dire » en janvier 2019 dans un cycle de rencontres avec l’AVREF.

 

La question de la relecture de la vocation, lorsque les personnes prennent conscience qu’elles ont été victimes d’un système d’emprise abusif, parfois sur des années, se dédouble en deux points :

 

1/ L’abus peut prendre les apparences d’un appel

 

L’abus lorsqu’il prend une forme traumatique agit sur la personne d’une façon majeure, qui si la personne « survit » peut être formulée comme la perte de la personnalité ancienne, avec toutes ses potentialités « normales », et l’acquisition d’une nouvelle personnalité, ayant intégré le traumatisme et dont les potentialités sont réduites ou déplacées. Elles sont réduites car c’est le travail de toute une vie d’intégrer le traumatisme, d’accrocher la boule à son « sapin de Noël personnel », pour reprendre les termes d’un participant. Elle est déplacée car « vivre », goûter le simple fait de vivre, est à la fois une victoire méritoire et un objectif de vie raisonnable et suffisant, comme l’exprimaient deux participants.

 

Il y a donc un événement particulier, que l’on pourrait rapprocher d’un événement vocationnel. La notion de vocation n’existe peut-être que dans des conceptions anthropologiques et  religieuses particulières. En tout cas là où elle existe elle a à peu près ce sens, d’appeler à une vie nouvelle qui va jusqu’à la transformation de la personnalité. Évidemment dans le cas d’un abus elle n’est pas choisie, elle est imposée et en l’occurrence par les actes criminels ou délictueux d’autrui. Si les conceptions anthropologiques et religieuses sont ouvertes à un au-delà susceptible d’avoir une activité d’appel cela pose la question des intentions de cet au-delà et du sens qui peut s’y rattacher.

 

2/ Il devient alors nécessaire de repositionner la notion de vocation

 

En milieu chrétien lorsqu’il y a abus, l’abus et la vocation se trouvent le plus souvent mêlées, par l’utilisation du concept de vocation par l’instance abusive. La question de la vocation est liée à celle de l’appel intérieur, donc de la vie intérieure qui peut être vue comme un jeu relationnel libre avec une instance au-delà du « monde ». Son utilisation abusive ne peut que perturber l’équilibre de l’ensemble. Là aussi cette approche par la vie intérieure est peut-être limitée à des conceptions anthropologiques et religieuses particulières, ce qu’il conviendrait de préciser si l’on veut placer la question sur un plan plus large.

 

En milieu chrétien néanmoins, puisque c’est celui qui nous occupe, se pose la question pour la victime de clarifier la notion de vocation, entre les conceptions nécessairement à rejeter puisqu’utilisées ou utilisables de façon abusive et dommageable pour les personnes, et un usage bon et bénéfique sauf à rejeter complètement la notion. Rejeter complètement la notion risque de conduire à rejeter corrélativement toute notion d’au-delà susceptible d’appeler, ce qui est une conséquence sérieuse et grave.

 

Pour sauver la notion d’instance au-delà susceptible d’appeler il est donc nécessaire d’expliquer à la fois comment cette instance peut appeler à « survivre » à un abus, avec tous les sens ce que peut avoir ce mot « survivre », et dans quel contexte vocationnel général un tel appel peut se produire.

 

Pour ce qui est du catholicisme il est clair ou il devrait être plus clair que toute atteinte à la liberté, tout « forçage » dans la vie intérieure et le discernement vocationnel, en faveur d’une instance particulière fut-elle d’Eglise, généralement présentée en termes d’élitisme et d’utilité théologico-politique, est un acte gravement contraire au bien de la personne et au bien général. En enlevant de cette phrase « pour ce qui concerne le catholicisme » et « fût-elle d’Eglise » on peut sans doute généraliser cette affirmation. A contrario et pour ce qui est du christianisme il y a cette phrase du Christ « le règne de Dieu est à l’intérieur de vous ». Elle désigne une vocation générale sur le plan anthropologique, généralisable de la façon suivante : la vocation de l’homme est d’entrer dans une relation totalement libre avec Dieu, vérité et liberté transcendante au-delà de l’abus.

Vocation et abus dans des communautés religieuses

 

 

Cette réflexion a été proposée en janvier 2019 par l’association « C’est à dire » dans un cycle de rencontres avec l’AVREF.

 

Les maltraitances au sein de communautés religieuses font, on peut vraiment le penser, suite à un appel ; au moins un appel à entrer dans la communauté en question, pour atteindre le statut ecclésial et communautaire qui est ou a été celui de la personne ; et éventuellement, au-delà, un appel entrevu ou imaginé à plus.

 

Par rapport à un engagement progressif et harmonieux qui comprendrait les étapes suivantes, ressenti d’un appel, discernement, institution avec éventuellement des étapes successives et progressives, les maltraitances ont un double effet perturbateur. La prise de conscience que la communauté a été maltraitante et donc dysfonctionnelle crée un doute sur la réalité de l’appel. A-t-il été manipulé par la communauté, ou une personne particulière ou plusieurs ayant joué un rôle particulier dans l’émergence et le discernement ? Premier élément perturbateur qui appelle nécessairement une clarification.

 

Par ailleurs la maltraitance provoque des dommages à la personne, qui ont été détaillés dans ces rencontres et qui peuvent être graves. L’état de santé qui est celui de la personne aujourd’hui permet-t-il de tenir l’état ecclésial et communautaire atteint ? Permet-t-il de soutenir la progression dans le sens de l’appel entrevu au-delà ? A contrario la prise de conscience de la maltraitance, de la manipulation, de l’emprise peut avoir produit une prise de distance globale avec la communauté, ou plus largement avec une aspiration à une vie spirituelle chrétienne particulière ou, à l’extrême, à toute vie spirituelle chrétienne. En outre la littérature scientifique associe généralement au trauma psychique, qui peut résulter de maltraitances graves, une forme de dissociation psychique. Cette dissociation psychique, si elle fait suite aux maltraitances subies dans l’institution, modifie par définition la vie intérieure de la personne, et par voie de conséquences impacte sa vie dans l’esprit avec Dieu.

 

Le point serait à approfondir car les choses vont dans plusieurs sens. D’un côté l’appel initial, avant sa captation par l’instance « imposteur » a pu et a vraisemblablement existé, appel bon, normal, effectif. La sortie de l’emprise de l’instance et du système « imposteur » est positive. Mais où s’arrête le contour de l’instance « imposteur » ? Est-ce une personne, ou quelques personnes ? Est-ce une communauté, ou plusieurs communautés ? Est-ce plus large ? À l’extrême est-ce le monde entier, ce qui serait une posture pessimiste et sombre ?

 

On voit donc que cette notion riche et complexe d’appel et de vocation est mise au défi par les maltraitances et abus, de deux façons, par leur impact sur la personne et, s’ils sont liés à l’institution qui appelle, par un jeu complexe et « glissant » de remises en cause. L’éloignement voir la séparation complète avec l’instance abusive est nécessaire à la reconstruction, ce qui est la priorité. Mais si cette instance est proche de la source du beau, du bien, du bon, du vrai, de la vie, un chemin complexe est à prendre, dans la liberté, la vérité et un confort psychologique minimum.