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Essayons de sortir de la confusion par quelques utiles clarifications

Dr Isabelle Chartier Siben

 

30 octobre 2018



Chaque jour apporte son lot de tristesse et de désarroi.

 

En quelques mois on est passé d’une connaissance personnelle, chacun savait dans son coin (et en particulier la multitude des victimes le portait en elle plus ou moins consciemment) à une reconnaissance collective et sociétale de la gravité des abus sexuels. Le risque aujourd’hui est dans la confusion.

 

Confusion entre pédophilie et actes à connotation sexuelle entre majeurs.

Confusion entre relation sexuelle entre adultes librement consentie, atteinte sexuelle, agression sexuelle ou viol.

Confusion entre ce qui est de l’ordre du jugement moral, de la discipline de l’Eglise et de la condamnation pénale.

 

 

 

Je me souviens avoir assisté à un procès aux assises. Il était demandé au religieux :« si vous aviez su que mettre un doigt dans le vagin de la jeune était un crime l’auriez vous fait ? Non a-t-il répondu, je ne voulais pas aller en prison. » Son comportement ne tenait compte, on le voit, que de la condamnation pénale.

 

Autre exemple : une religieuse me demande si pour une religieuse embrasser un homme mérite la prison ? Si les 2 sont adultes et conscients de ce qu’ils font, le problème n’est que moral et la question est exclusivement interne à l’Eglise.

 

Par ailleurs, certains prêtres ont des relations sexuelles avec des adultes consentants. Certains ont des enfants. Leur situation ne relève alors que du droit canonique.

 

Entre adultes se pose la question de la qualification de l’acte et de l’emprise d’une personne sur une autre ou dit en terme juridique : l’acte à connotation sexuelle a-t-il été fait avec violence, contrainte, menace ou surprise ? y avait-il consentement ?

Quand il s’agit d’un confessionnal il s’agit toujours au minimum d’une surprise. La personne ne pouvait s’y attendre au même titre que la confiance qui s’établit dans un cabinet de médecin.

Ailleurs, seule une enquête approfondie peut définir la gravité des faits et leurs retentissements sur la victime.

Outre le caractère du geste commis, seront pris en compte d’autres points telles les notions « de personne ayant autorité » ou « d’abus de faiblesse ».

On ne peut mettre, en ce qui concerne la personne mise en cause, tout sur le même plan. Il faut distinguer ce qui relève :

  • Du sacrement de réconciliation pour sa relation à Dieu
  • De la sentence ou du procès canonique pour la sanction ecclésiale,
  • Du droit civil pour les dommages et intérêts
  • Du droit pénal ; sur le plan juridique il existe deux catégories : les crimes (pour les viols, dès qu’il y a pénétration de quelque nature que ce soit qui n’est pas librement consentie) et les délits (qui regroupent les agressions, les atteintes et les exhibitions sexuelles)

 

 

Reste le cas particulier des personnes décédées : s’il me semble tout à fait nécessaire de faire des enquêtes très poussées pour connaître avec justesse et justice la réalité de ce que l’on dénonce chez des personnes suspectées d’avoir été maltraitantes et qui sont aujourd’hui décédées, on ne doit pas oublier la mémoire de tous les jeunes et parfois moins jeunes qui se sont suicidés ou sont morts prématurément suite à des abus sexuels non dénoncés, non pris en charge.

 

La pédophilie. 

Tout contact à connotation sexuelle de la part un adulte sur un mineur de 15 ans est un délit. (le fait par un majeur d’exercer une atteinte sexuelle, sans contrainte, menace, violence ou surprise, sur un mineur de 15 ans est puni de 7 ans de prison et de 100 000€ d’amende).

 

Par le passé certains semblaient ou voulaient croire que l’enfant allait oublier.

 

On s’est aperçu qu’à l’identique des symptômes qui suivent les états de guerre ou d’attentat le trauma pénétrait à l’intérieur du psychisme et allait se manifester sous forme de reviviscences, cauchemars, dissociations, troubles du développement, troubles de la sexualité…..ces symptômes pouvant apparaitre tout de suite après l’attouchement sexuel ou plusieurs années voire dizaines d’années après.

 

Chaque enfant, en fonction de son âge et du contexte, réagira de manière différente, d’une vie possible à une vie dévastée, mais toujours avec au creux de lui jusqu’à son ultime départ une brûlante souffrance (dont il ne reconnaitra pas toujours l’origine).

Une seule atteinte sexuelle sur un enfant, même fugace, sans pénétration, une fois, peut suffire à provoquer le drame. L’être humain est ainsi fait.

 

L’expérience montre qu’une prise en charge rapide et efficace d’un enfant abusé va permettre de réduire les ravages de tels actes commis contre lui.

 

La victime si elle est mineure sexuellement n’est jamais responsable encore moins coupable. Rien en elle, quoi qu’il en soit, n’a pu susciter le désir de l’autre. C’est le désir de l’autre qui est déviant ; la pédophilie est une perversion, indépendante de la continence ou à l’inverse de l’hypersexualité de l’auteur.

 

Beaucoup se sont tus. La parole est-elle salutaire ?

 

Dire peut, dans certains cas, renouveler le traumatisme voire l’aggraver.

Ne pas dire c’est choisir de garder une tombe vivante ou une bombe en soi.

 

Mais ici on ne peut pas ne pas parler de l’amnésie dissociative, amnésie qui peut exister après des évènements traumatiques ou extrêmement stressants. Ce trouble implique une déficience réversible de la mémoire, au cours de laquelle les souvenirs d’expérience personnelle ne peuvent pas être récupérés sous forme verbale (ou bien, s’ils sont récupérés temporairement, ils ne peuvent pas être maintenus en totalité dans la conscience) (déf DSM IV). Ceci explique les révélations qui peuvent se faire des années voire des dizaines d’années plus tard.

 

 

Après avoir parlé la personne peut ressentir un immense soulagement, que les faits soient reconnus, être enfin entendue dans sa souffrance, être libérée de ce poids infini qui pèse en elle et la détruit depuis tant d’années. Mais en même temps la vie s’est construite brinquebalante et douloureuse avec et autour ou à côté de ce trauma. 
Le Médecin Général et Professeur émérite de psychiatrie Louis Crocq parle du « récit autobiographique » : ce n’est que lorsque la parole va servir, va permettre au trauma d’être intégré à la vie, à l’être même de la personne, que peuvent poindre les bénéfices d’une liberté retrouvée.                                     .
Travail d’orfèvre pour le thérapeute et le patient, travail d’où va jaillir la vie, simplement, mais travail long et douloureux.

 

Travail qui ne peut être fait qu’avec des thérapeutes spécialisés ou ayant une très bonne connaissance de ce qu’est le trauma psychique et ses conséquences. La prise en charge des victimes d’attentats nous montre malheureusement que nous manquons en France de tels spécialistes.

 

Les personnes qui sont peut-être les plus difficiles à convaincre de la nécessité de parler, outre les abuseurs, sont probablement celles qui ont elles-mêmes été abusées dans leur enfance et qui n’ont rien pu dire. Relire leur existence à l’aune de ce qui aurait pu être est de l’ordre de l’insupportable. J’ai une grande compassion pour elles et une vraie admiration pour la force de vie qu’elles manifestent tout en sachant qu’il n’est pas possible d’accepter que de telles situations de silence et d’occultation se perpétuent.

 

 

On me parle souvent de la miséricorde, du pardon.

Pardonner à son abuseur, à son violeur ne peut se faire qu’après un long parcours, un long chemin au cours duquel la victime réalisera peu à peu l’impact qu’a eu en sa vie cet acte : maladies physiques, troubles alimentaires, difficultés sexuelles, atteintes psychologiques voire psychiatriques ….. La relecture est la voie de la guérison. En faire l’économie et ainsi pardonner sans savoir ce que l’on pardonne ouvre la porte au déni, à la dissociation, à l’aggravation des symptômes, en particulier l’apparition d’automutilations pouvant aller jusqu’au suicide.

 

Pour les victimes ce qui compte c’est le rétablissement de l’interdit, la sortie de la confusion générationnelle et l’application du droit.

 

Leur parler de miséricorde peut être insupportable pour elles.

 

 

 

 

 

Dans l’Eglise les abus sexuels sont également des abus spirituels, c’est ce qui démultiplie leur gravité : au nom d’une autorité spirituelle ou dans un contexte spirituel des maltraitances sexuelles sont perpétrées.

 

Cela a certainement participé à la déchristianisation du monde occidental par atténuation voire suppression de la capacité d’une relation à Dieu.

 

On ne peut conclure sans parler de prévention, prendre toutes les mesures nécessaires pour que l’abuseur ne puisse plus nuire et détruire. Le protéger de lui-même et protéger la société. On le voit il s’agit aussi d’un problème de santé publique et de protection de l’enfance.

 

 

Il reste une question, et je me place en cet instant en tant que catholique :

Les prêtres, les religieuses et religieux, pourront-ils désormais sourire à un enfant, s’occuper de jeunes, prendre des bébés dans leurs bras, emmener leurs neveux au cinéma…?
Pour ma part,  je souhaite que ce soit oui.

Que la spontanéité, la vitalité, la joie, en somme cette puissance de vie qui au jour de leur consécration leur a permis d’offrir leur vie pour nous donner Jésus, ne soit pas étouffée, balayée parce que certains ont été lâches ou ont trahi.

En résumé, je dirais, soyons compétents et responsables, ayons le goût de la recherche de la vérité et cessons d’ajouter des victimes aux victimes.