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La sortie de l’emprise

1/ ETAPE 1. Le repérage de dysfonctionnements au sein de la communauté

 

Ce repérage peut évoluer vers 3 situations :

  1. Le déni

Soit en affirmant : « la communauté va très bien, ceux qui disent qu’il y a des difficultés sont des fauteurs de troubles » ou en atténuant et en se voulant rassurant : « la communauté va bien et porte beaucoup de beaux fruits. Les difficultés vécues ici ou là, sont normales et sporadiques. »

  1. La reconnaissance de problèmes sans remise en cause ni de la communauté ni de soi-même.

Cela pourra se manifester par une prise de distance par rapport au supérieur-abuseur et à oser une forme de critique ou d’avis différent. Mais il est assez confortable d’en rester là. Cela permet d’être sur les deux plans : du coté des « forts » et du coté des « faibles » et de conserver une bonne conscience, celle de travailler à l’unité. Il peut y avoir là une part d’orgueil : « je fais la part des choses, j’ai du recul » et finalement, penser que l’on a raison en se disant : « mon supérieur fait des erreurs, comme tout un chacun » et « les membres qui s’expriment sont excessifs, ils cachent dans leur réaction leur problème ou leur non acceptation vis-à-vis de l’autorité et de l’obéissance ». Mais cette réaction masque une forme de supériorité, une forme de condescendance.

 

  1. La réelle prise de conscience

Ceux qui sortent de l’emprise, bénéficient généralement de petites mises en alertes préalables données par d’autres membres, sortis eux-mêmes de l’emprise et essayant d’éveiller les consciences.

Mais la vraie sortie d’emprise s’effectue malheureusement souvent, seulement lorsque le membre est confronté de près à un abus. Soit lui-même devient victime, soit il est témoin d’un abus d’un membre de sa communauté dont il est proche.

A cette étape, où la conscience s’éveille, il y a un désir de comprendre. Passer de la confusion à la compréhension. C’est à ce moment là qu’une rencontre avec un psychothérapeute est nécessaire. Parfois, lorsque cela n’est pas possible, c’est le secours des livres ou des explications glanées sur internet qui apportent quelques lumières.

Au fur et à mesure que le religieux arrive à mettre des mots sur les maux, il reprend force. Tout ce qu’il percevait avant et qui n’avait pas de sens, va s’éclairer. Les éléments du puzzle qui étaient éparpillés dans la confusion vont se mettre en place. Il y a comme des moments de lumière qui libèrent et qui redonnent le chemin de la liberté intérieure.

Cette réelle prise de conscience va évoluer vers 2/

2/ ETAPE 2. La colère, le doute, la souffrance, la honte, l’incompréhension

A ce stade il peut y avoir un retour vers l’étape 1/ a ou l’étape 1/b, sinon l’évolution se fera vers  l’étape 3/

Plus le religieux avance dans la compréhension des mécanismes plus il devient sensible et réactif à tout ce qui lui « saute aux yeux » comme par effet de loupe. Il entre alors dans une période périlleuse où il peut se mettre en difficulté. Son extrême sensibilité aux multiples signes de l’abus va le rendre vulnérable. Il va perdre la maîtrise de lui-même et risque de se discréditer aux yeux des autres, alimentant ainsi sa propre condamnation.

En étant victime d’un abus psychique et spirituel, le religieux a comme été piqué par un serpent qui lui a injecté un venin qui l’autodétruit. Un soin rapide et approprié est nécessaire afin que le religieux ne s’exclue pas par lui-même de la Communauté et ne doive porter en plus la responsabilité de son départ.

Fatigue, perte de la maîtrise de soi avec par exemple : plaisanteries, familiarité, manque de sérieux et de ponctualité etc. .. manifestations d’une sorte de « crise d’ado » qui permettent de se démarquer d’une autorité patriarcale ou matriarcale, et qui entraînent une conduite risquée dans une communauté religieuse.

Il peut y avoir aussi des sentiments de dégoût, d’écœurement qui démobilisent dans le don de soi-même. Parfois, le religieux peut repérer qu’il n’a plus d’élan pour se donner dans une communauté dans laquelle il ne se reconnaît plus.

3/ ETAPE 3.L’acceptation qui s’accompagne du deuil

de la « communauté idéale «  et de sa propre perfection »

Acceptation de ce que l’on découvre comme manipulation, mensonges….

Mais aussi, acceptation de sa propre participation à ce système : accepter que l’on n’a rien vu et que des années peuvent s’être écoulées.

Et encore, acceptation de n’être plus « bien vu » ni de ses pairs ni de ses supérieurs.

4/ ETAPE 4. Acquisition d’une nouvelle liberté qui ne peut se faire seule

 

L’enjeu est de poser le regard le plus objectif possible sur les évènements, les décisions…..car il s’agit  ici de sortir de l’emprise réelle objectivable  extérieure à soi mais aussi de l’emprise de son propre psychisme.  Ex : une personne violée peut rester sous l’emprise psychologique de l’agression alors que celle-ci n’a eu lieu qu’une seule fois. Certains de ses comportements et de ses pensées restent liés à l’abus. L’emprise est intériorisée et continue à fonctionner par elle-même sans qu’il y ait présence de l’abuseur ;

Dans une communauté ce phénomène est d’autant plus fort s’il n’y a eu aucune antériorité de fonctionnement sain et qu’il existe alors une grande confusion entre  ce qui appartient à un « fonctionnement communautaire » et ce qui relève d’une gouvernance  abusive. C’est pourquoi une présence extérieure qui aide à poser de justes repères, qui aide à discerner est indispensable ; car il faut sortir de la confusion et réapprendre à vivre en se respectant  soi-même et en respectant  l’autre.

  1. Conseil spirituels – pour l’accompagnateur spirituel.

Les accompagnateurs spirituels sont souvent peu formés à ce type de souffrance. Plus que jamais ici, il est nécessaire de distinguer le psychologique du spirituel. Des conseils spirituels sur des abus peuvent augmenter et attiser le mal et le rendre insupportable.

  • Par exemple, dans une Communauté où il y existait un mécanisme de « diabolisation » des religieux qui sortaient de l’emprise, il était extrêmement douloureux pour eux d’entendre le bon conseil habituel : « que le Seigneur vous garde des pièges du Diviseur ». Généralement, les religieux qui l’ont souvent entendu, sont déjà ficelés par cette peur  qui ferme l’accès à leur liberté intérieure.
  • De même, inviter un membre d’une communauté nouvelle à « rester dans la louange » c’est le renvoyer dans l’illusion dont il essaye de sortir ; non pas que la louange soit une illusion, mais, dans certaines communautés nouvelles, la louange devient une forme de fidéisme qui empêche de réfléchir et rend aveugle sur la réalité concrète.

Aussi, ce genre de conseils peut avoir le même effet que lorsqu’on dit à un dépressif, « secoue-toi ».

Par contre, les conseils spirituels que l’on peut donner pour ce type de souffrance est d’inviter le religieux à continuer de suivre fidèlement les temps de prière commune de la Communauté (sauf en cas de grande fatigue). Mais pour la prière personnelle, il est préférable de l’encourager à une prière simple et à une prière d’humilité, telle que celle du pèlerin russe (« Seigneur Jésus, Fils du Dieu vivant, prends pitié de moi pécheur »). Par ailleurs, l’apport de livres spirituels peut être d’un grand secours et peut  l’aider à entrer dans un environnement spirituel plus large que celui  qui l’entoure et qui l’étouffe. Tout ce qui favorisera un contact avec l’universalité de l’Eglise l’aidera à « respirer ».

  1. Mise en garde : les mauvaises propositions – du gouvernement.

Dans le cas d’une communauté sous emprise d’un supérieur-autoritaire, il faut se rappeler que les conseillers sont comme des satellites de cette emprise. C’est pourquoi, même s’ils exercent une volonté de  compréhension et d’aide au religieux en souffrance, ils risquent de proposer des options qui renouvelleront et intensifieront  l’emprise. Quelques exemples :

  • Lorsqu’un religieux partage à un conseiller proche du gouvernement, comment le supérieur-autoritaire l’a profondément atteint dans sa relation de confiance par un véritable abus spirituel, ce conseiller ému de compassion cherche une solution pour sortir ce religieux de la rupture de confiance en donnant plusieurs possibilités :
    1. Soit rencontrer à nouveau le supérieur pour lui en parler directement, « d’homme à homme », et pour échanger une demande de pardon,
    2. Soit le conseiller se propose comme intermédiaire pour en parler au supérieur,
    3. Soit le conseiller se fait médiateur ou témoin dans une rencontre à trois.

Le religieux a tendance à choisir plutôt l’option 3. Lors de cette rencontre, religieux et supérieur s’expriment chacun à leur tour et s’écoutent, invités ensuite à se demander pardon. Mais la demande de pardon se trouve reléguée au registre de la communication et non pas de l’objet de la souffrance. La séance se conclut. Tout semble rentrer dans l’ordre…

 

En réalité, le religieux tombe à nouveau dans l’état de soumission aveugle, et repart plus douloureusement pris dans un processus de mal-être intérieur !

 

Il manque au « conseiller » la compréhension de ce que sont véritablement les abus spirituels. Le mal atteint profondément l’âme du religieux, son intimité. C’est pourquoi, il n’est pas inconvenant de le comparer, dans ses conséquences psychologiques, à un viol. Or, on ne peut pas demander à une femme violée de retourner voir son agresseur pour rétablir avec lui la confiance et se demander mutuellement pardon! La demande de pardon pourra se faire dans un chemin de reconstruction, mais qui passera d’abord par la reconnaissance du mal dont elle a été victime et dont, on peut l’espérer, elle a été tout d’abord défendue et protégée. Le

pardon est ici nécessairement un pardon à sens unique, de l’abuseur envers sa victime et non un pardon mutuel.

 

Il y a souvent une autre douleur que le religieux qui sort de l’emprise doit porter. Celle de voir que « personne vraiment ne bouge » autour de lui, pour aider à régler le fond du problème. En effet, il y a déjà l’’aveuglement que suscite l’emprise, mais il y a souvent également, une part de lâcheté des membres de la même communauté, liée à la peur (qui paralyse intérieurement) et à l’esprit de survie. Chacun essaye, inconsciemment, de « sauver sa peau », parfois avec des petites combines, des petits détournements, complicités coupables, esquives etc. …. Il existe une boutade qui dit ceci :

1/ Le chef a toujours raison

2/ En cas de problème, s’en référer au 1/

3/ En cas de crise, chacun sa … peau

5/ ETAPE 5. Mise en place de stratégies de protection

et de dénonciation de l’emprise

Il faut savoir que lorsque l’on est confronté à un supérieur-autoritaire qui nous maintient sous emprise, on a été d’une certaine manière « vidée de sa propre substance » et on va éprouver une très grande difficulté voire une incapacité à s’opposer à ce que l’on a pourtant reconnu comme mauvais et destructeur pour soi mais aussi  pour la communauté ;  ce phénomène est tel que l’on peut se sentir totalement paralysé et entrer dans un stress incontrôlable, ce stress pouvant même se manifester à la simple anticipation d’une éventuelle rencontre avec le supérieur . Ce genre de réactions peut affoler ou en tous cas nous faire croire que l’on est déséquilibré mais il n’en est rien, il s’agit de réactions normales à une situation qui, elle, est anormale.

Le problème de l’attribution est particulièrement important : il ne s’agit pas ici de savoir qui a raison ou tort ou de se dire que les torts sont partagés ; cette réflexion est celle d’une situation normale vécue par tout un chacun au quotidien et qui perdure évidemment en cas de manipulation mentale. Dans le cas de l’emprise pathologique dont on parle ci-dessus un autre questionnement se surajoute : les méthodes utilisées par et pour la gouvernance sont-elles claires, dans la vérité et respectueuses  de l’être humain ?

Le diagnostic d’emprise posé, la question qui se pose alors est celle de sa propre survie. Que dois-je faire pour continuer à vivre : rester ou partir ?

Partir est la solution « psychologiquement normale », on se doit de tout faire pour quitter un abuseur, la voie de la séparation est celle qui « marche le mieux » pour se reconstruire. Mais que deviennent alors et  sa vocation et ses frères et/ou sœurs en communauté ?

Rester, c’est assumer ses responsabilités  et son choix « pour le meilleur et pour le pire ». Mais, dit Saint Irénée, « la gloire de Dieu est l’homme debout ». Or, aujourd’hui, il est établi de manière certaine que les abus psychologiques et spirituels ont des conséquences inévitables et sur le psychisme et sur la santé physique. Les effets mentaux sont au début des insomnies, cauchemars (*), asthénie (fatigue générale), stress, pertes de mémoire, trouble de la concentration puis dépression et troubles anxieux. Les atteintes physiques peuvent aller de la simple migraine ou du malaise gastro-intestinal aux maladies graves telles  que troubles cardio-vasculaires, diabète en passant  par les ulcères, les maladies de peau……

(*) : Ainsi, dans une communauté confrontée à une course en avant, il a été observé que plusieurs membres faisaient le même type de cauchemars : celui d’être embarqué dans un train dangereux.

Mais que faire si l’on choisit de rester ?

Plusieurs attitudes sont possibles :

  1. Soit « re-rentrer » dans le déni pour se protéger de l’abuseur, obéir sans réfléchir, accepter parfois l’inacceptable, participer peut-être à des « éliminations sommaires », abandonner sa vocation non dans la forme mais dans le fond  et ainsi s’assurer une certaine tranquillité.
  2. Soit se dissocier en écoutant et consolant les « personnes en souffrance » et  dans un même temps en obéissant aveuglément au supérieur. C’est la bonne conscience du traître, de « l’agent double ».
  3. Soit parler et dire, à l’intérieur de la communauté comme à l’extérieur. Oser une parole courageuse de plainte et de vérité. Oser dire ce que l’on sait et que l’on n’ose pas penser. Prendre le risque de ne pas être entendu par ceux qui veulent croire que tout va bien et de se faire rabrouer ou humilier par ceux qui veulent garder ou gagner « leur place ». Pour que toutes  ces souffrances endurées au long des mois et enfin mises en mots reçoivent  un écho, que suffisamment de voix s’élèvent pour faire corps et dire « non » ; alors les responsables ecclésiaux sensibles aux cris de détresse qu’ils entendront se répéter viendront, peut-être, au secours de cette communauté qui se meurt sous l’emprise «  de son chef ».
  4. Ou alors également, unis dans le désir de servir Dieu, certains s’associeront pour quitter ce lieu qui méprise les personnes au nom de l’évangélisation pour créer quelque chose de nouveau dans l’humilité et le dépassement  des maux et des blessures.

Toutes ces étapes (de 1 à 5)  peuvent se vivre concomitamment  ou successivement dans un ordre ou dans un autre

6/ autres pistes et issues de secours.

Si vous-mêmes, ami lecteur, vous vous sentez concernés.

  • Ne restez pas seuls. Trouvez des appuis en interne et en externe, et en Eglise.
  • Sachez prendre la fuite face à des situations qui vous remettent sous emprise ou qui vous placent en face de l’autorité qui vous abuse. Si vous passez pour un lâche, dites vous que ce n’est pas mauvais pour l’humilité !
  • Tenez bon, ne cherchez pas une solution trop rapide, malgré vos envies de partir. Si vous quittiez trop précipitamment votre communauté, vous pourriez le regretter. Avancez par étapes. Soyez fidèles au jour le jour et le Seigneur vous montrera l’issue.
  • Prenez le temps de rire, de « décompresser ».
  • Veillez à votre santé.

 

Sœur Rita, accompagnatrice

Paroles de la chanson

« Tout va très bien, Madame la Marquise » :

Allô, allô James !
Quelles nouvelles ?
Absente depuis quinze jours,
Au bout du fil
Je vous appelle ;
Que trouverai-je à mon retour ?

Tout va très bien, Madame la Marquise,
Tout va très bien, tout va très bien.
Pourtant, il faut, il faut que l’on vous dise,
On déplore un tout petit rien :
Un incident, une bêtise,
La mort de votre jument grise,
Mais, à part ça, Madame la Marquise
Tout va très bien, tout va très bien.

Allô, allô James !
Quelles nouvelles ?
Ma jument gris’ morte aujourd’hui !

Expliquez-moi
Valet fidèle,
Comment cela s’est-il produit ,

Cela n’est rien, Madame la Marquise,
Cela n’est rien, tout va très bien.
Pourtant il faut, il faut que l’on vous dise,
On déplore un tout petit rien :
Elle a péri
Dans l’incendie
Qui détruisit vos écuries.
Mais, à part ça, Madame la Marquise
Tout va très bien, tout va très bien.

Allô, allô James !
Quelles nouvelles ?
Mes écuries ont donc brûlé ?
Expliquez-moi
Valet modèle,
Comment cela s’est-il passé ?

Eh bien ! Voila, Madame la Marquise,
Apprenant qu’il était ruiné,
A pein’ fut-il rev’nu de sa surprise
Que M’sieur l’Marquis s’est suicidé,
Et c’est en ramassant la pell’
Qu’il renversa tout’s les chandelles,
Mettant le feu à tout l’château
Qui s’consuma de bas en haut ;
Le vent soufflant sur l’incendie,
Le propagea sur l’écurie,
Et c’est ainsi qu’en un moment
On vit périr votre jument !
Mais, à part ça, Madame la Marquise,
Tout va très bien, tout va très bien.

Paroles Ray Ventura