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Les attentats, réactions en chaîne

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Site SMLH de la section de Neuilly

Conférence du docteur Chartier Siben du 18 janvier 2018

Isabelle Chartier Siben

LES ATTENTATS ET LEURS SUITES, REACTIONS EN CHAINE

 

Introduction

Je suis honorée et heureuse d’être parmi vous ce soir pour aborder un sujet, les attentats et leurs suites, qui me tient particulièrement à cœur.

Et nous allons voir que les attentats nous ouvrent ou tout au moins nous permettent de comprendre les conséquences de bien d’autres situations de violence.

Pourquoi nous intéresser à ce sujet qui finalement sur l’ensemble de la population ne touche qu’un petit nombre.

N’en fait-on pas trop ?

Et en même temps chacun d’entre nous le sait bien, chacun d’entre nous a quelque chose en relation avec les attentats.

Et j’espère par mes propos ne pas choquer ni blesser ou attrister certains d’entre vous qui justement ont un très proche qui est mort ou été blessé lors des derniers attentats. Je ferai attention à ne pas citer des exemples trop proches de nous.

Pour la clarté de mon exposé je suis obligée de simplifier et de fixer certaines choses.

Certains de mes patients au courant de mon intervention de ce soir m’ont laissé quelques consignes, quelques réflexions :

  • Soyez discrète, ne dites pas tout, c’est trop dur
  • Les gens n’ont pas envie d’entendre
  • Une violence comme ça, dans tous les cas, on n’a pas de mot pour dire.
  • Restez honnête par respect pour ceux qui sont morts, pour ceux qui souffrent
  • Décrire une telle violence c’est très difficile d’en parler car on ne sait pas où s’arrête la capacité d’entendre des personnes
  • Et aussi dites-leur qu’on n’allait pas à la guerre

Pour mieux prendre conscience de la situation, je commencerai par

L’organisation de la prise en charge

Lors de catastrophes (naturelles, technologiques sociétales), le plan ORSEC est déclenché (organisation des secours, depuis 2006 organisation de la réponse de sécurité civile)

C’est le préfet qui en décide et en prend la responsabilité.

Ce plan ORSEC se décline en plusieurs plans

Pour ce qui nous concerne :

 

Plan rouge, pour l’organisation de l’avant

Plan blanc pour l’organisation de l’arrière (les hôpitaux)

Récemment depuis les derniers attentats le plan rouge est devenu le plan ORSEC novi (nombreuses victimes)

 

Ce que j’avais entendu dire au début des années 2000 c’est que nous étions très capables de tirer les conséquences d’un sinistre antérieur mais que par compte il était extrêmement difficile d’anticiper.

Suite aux attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005 les autorités françaises prennent conscience de la possibilité de plusieurs attentats simultanés et donc de la nécessité de répartir les ressources. Cela amène à la création du plan rouge alpha dit de riposte Multi attentats qui a été déclenché pour la première fois lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris

Ce plan Novi est conçu pour à la fois :

– Lutter contre le sinistre initial, en l’occurrence ici, tirs, incendie, gaz,

effondrement…,       ses effets directs et indirects

 

– Soustraire les victimes du milieu hostile

– Et prendre en charge les victimes

Et ce, de manière rapide, rationnelle, coordonnée avec des moyens suffisants et adaptés.

 

Et sous un double commandement, sur place et à l’arrière.

La particularité française est l’installation d’un poste médical avancé : l’hôpital vient au chevet des blessés.

C’est là que va commencer (en termes de terrain) le tri des personnes :
– Les blessés physiques :

Urgence absolue

Urgence relative

– Les blessés psychiques sans troubles somatiques

– Les victimes qui semblent indemnes, les impliqués.

Lors d’un événement dramatique, les personnes vont réagir

  • Soit par un stress adapté, vont aider, vont éventuellement voler, piller !,
  • Soit par un stress dépassé :

– La sidération : la personne est stuporeuse, bloquée dans toutes ses fonctions comportementales, cognitives, émotionnelles… Elle est « statutifiée », sans mouvement sans parole.

– L’agitation : la personne court dans tous les sens, en criant et gesticulant.

– La fuite panique : en 2001 à New York plusieurs jours après des personnes ont été retrouvées.
– L’action en automate : on les repère moins facilement car elles semblent actives mais sont beaucoup plus lentes, elles font des gestes répétés inefficaces.

D’où l’importance dans ces moments-là d’une prise en charge psychologique assurée par ce que l’on appelle les cellules d’urgences médico psychologiques qui se déplacent avec le SAMU

 

Le but est de :

– Diminuer la souffrance et surtout de prévenir dès les premiers instants les évolutions défavorables
– Faire réintégrer au plus vite le monde des vivants à ceux qui ont vécu le grand effroi

– Éviter qu’il ne se créé des catastrophes secondaires

– Ne pas laisser au sentiment d’abandon

Notre équilibre intérieur repose sur trois notions :

– La confiance en soi (Notre invulnérabilité)

– La confiance en l’autre

– La confiance en un monde protecteur, ou en tout cas où il est possible de vivre

La confiance en soi est effondrée, on parle d’effondrement narcissique et de honte, la personne a été confrontée à son impuissance totale et  le monde n’est plus protecteur.

En l’occurrence ce sur quoi on peut agir en urgence c’est la réassurance par la présence de l’autre. Être là pour contenir, réamorcer le sentiment de sécurité.

L’autre qui va pouvoir redonner accès à la parole. La parole c’est la vie.

Des informations pratiques sur les potentielles manifestations psychologiques et sur les coordonnées des centres pouvant les accueillir dans les jours à venir sont également donnés sur place.

Ces comportements psychiques des premières minutes, des premières heures ne présument pas de la suite.

À ce stade on ne sait pas qui a vécu un stress, qui a vécu à trauma psychique. Or ce sont deux choses très différentes dans leur pathogénie, ainsi que pour l’évolution sur le long terme.

Historique



–À la fin du XIXe siècle les accidents de train donnent lieu à des pathologies bizarres que l’on ne sait pas reconnaître. On pense alors à une origine organique, telles des hémorragies cérébrales liées au choc physique.

–Pendant la guerre de 14 on se rappelle du vent du boulet des guerres napoléoniennes et on parle alors de vent de l’obus pour décrire des manifestations que là aussi on ne sait ni étiqueter ni traiter.

On pense qu’il s’agit de lésions des méninges, des vaisseaux cérébraux voir des tissus nerveux.

Et pourtant le traumatisme psychique a été repéré dès la fin du XIXe siècle par Herman Oppenheim. En 1889 il écrira un traité sur la névrose traumatique
Malgré cela il reste méconnu par les cliniciens et les experts sauf exceptions de cercles très restreints.

Après la seconde guerre mondiale les graves troubles que présentent les anciens combattants et les survivants des camps imposent une conceptualisation du trauma
En France nous devons souligner le travail fondateur des psychiatres militaires et en particulier dans les années 60 du médecin général Louis Crocq qui s’appuie sur les travaux psychanalytiques de Janet, Freud, Ferenczi.

Aux États-Unis les problèmes posés par les vétérans du Vietnam relancent l’intérêt pour cette pathologie et imposent de créer des centres adaptés pour leur prise en charge dans tous les pays (ils sont 700 000 blessés psychiques pour la plupart désinsérés socialement sur les 3 millions)

En 1980 la névrose traumatique fait son entrée dans les célèbres classifications du DSM trois, bible des psychiatres, classification américaine « manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux”, sous le nom de PTSD ou en français ESPT.

En France c’est en 1988 que Claude Barrois professeur agrégé du Val-de-Grâce publie l’un des premiers ouvrages consacrés à la névrose traumatique. Et c’est alors que débute l’enseignement universitaire de cette matière.

Le professeur Louis Crocq crée un diplôme consacré au stress à Paris V et en 1990  et l’ALFEST : association de langue française pour l’étude du stress et du trauma.

En 1993 est créé le premier DU de victimologie, ce DU sera inauguré par René Girard, cela a son importance.

Des magistrats, des avocats, des juristes, des associations, des philosophes, des sociologues, bien sûr des professionnels de santé abordent la problématique victimaire sous tous ses aspects.

En 1994 le docteur Xavier Emmanuelli, enseignant à ce DU de victimologie est nommé secrétaire d’État à l’action humanitaire d’urgence.

Et grâce à la collaboration entre militaires et civils, qui reconnaissent mutuellement leurs travaux, est créée au lendemain de l’attentat du RER B à Saint-Michel le 25 juillet 1995, la cellule d’urgences médico psychologique CUMP à la demande de Jacques Chirac. Sa présidence est confiée au professeur Louis Crocq. Toute une équipe le docteur Gérard Lopez, le Professeur Lebigot, la psychologue Carole Damiani ont travaillé à cette fondation.

En décembre 2016, Juliette Meadel, alors secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes engage un cycle de tables rondes associant professionnels de l’intervention d’urgence, psychiatres, psychologues, intervenants associatifs, représentants de victimes. Le but de ces rencontres à caractère scientifique est de faire un état des lieux des compétences actuelles et de dégager des pistes d’amélioration dans la prise en charge des victimes.

Ce que j’en ai retenu c’est que de gros efforts étaient faits pour l’organisation de la prise en charge, mais qu’il n’y avait pas aujourd’hui en France suffisamment de spécialistes bien formés. Et de manière anecdotique mais qui quand même a son

importance qu’il y avait des thérapeutes sans grande compétence qui profitaient de la manne que constituent ces victimes …

En conclusion de ce chapitre je dirais qu’en quelques années la psycho traumatologie est devenue la discipline probablement la plus étudiée dans le champ de la psychiatrie et de la psychologie mondiale.

Schéma du traumatisme psychique

 

Conceptualisation du traumatisme psychique

 

En 1920 Freud propose une spéculation psychanalytique concernant la genèse du traumatisme et choisit de décrire le fonctionnement de l’appareil psychique sur le modèle de l’organisme vivant.

Ce modèle sera repris et différemment élaboré par la suite.

 

Je m’appuie sur ce concept pour en dégager un modèle simplifié.

On imagine l’appareil psychique comme une vaste vésicule vivante (genre ballon de baudruche). Freud nomme le pourtour de ce “ballon psychique”, le pare- excitation. Je l’appellerai enveloppe protectrice.

Le trauma se définit alors comme une “effraction” au sein même de l’appareil psychique (et non plus une simple déformation temporaire de l’enveloppe protectrice comme lorsqu’il existe un stress). Il survient lorsque l’appareil psychique n’a pas pu s’adapter, n’a pas pu résister. Les défenses psychiques ont été dépassées soit par la violence, soit par l’horreur, soit par “le non représentable”, “le non ellaborable”. Le trauma va franchir l’enveloppe protectrice, pénétrer, se ficher à l’intérieur du psychisme et y rester. Cette effraction va également entraîner une perte de matériel psychique.

1/ Ce modèle est particulièrement intéressant car il est confirmé depuis ces dernières années par les avancées des études en neurosciences. Il correspond au circuit hypothamo-amygdalo-cortical et à la fonction régulatrice de « banques de données » de l’hippocampe.

2/ Ce modèle a l’avantage de bien faire comprendre les conséquences à court et à long terme d’un trauma. Le trauma fiché à l’intérieur va désormais exister de manière autonome.

Ce trauma peut rester silencieux des mois des années, c’est ce que l’on appelle le temps de latence, ou il peut s’exprimer de manière caractéristique dès les premières semaines par le syndrome de répétition.

Le syndrome de répétition encore appelé intrusion ou reviviscence est pathognomonique :

 

Les images, les bruits, les odeurs, les émotions, les sensations reviennent à l’état brut déconnectés de la réalité, non intégrés, non travaillés ; la personne est soudain submergée par une image qui appartient au passé et sur laquelle elle n’a aucune prise.

Cela se manifestera sous forme d’hallucinations, d’illusions, de souvenirs forcés, (c’est l’idée), de rumination mentale, de reviviscences émotionnelles « comme si », de reviviscences comportementales « comme si » et surtout le cauchemar de répétition.

 

Tout ceci survient dans une grande détresse, dans un orage neurovégétatif

 

Le trauma peut se réveiller :

 

De manière spontanée

ou en réponse à un stimulus extérieur qui ressemble de près ou de loin à l’agression initiale

ou  lors d’une baisse du niveau de conscience (d’où la difficulté à l’endormissement )

 

Une fois « rallumé », le trauma retrouve toute sa puissance d’effroi, d’angoisse, de détresse, « d’orage neuro végétatif » …. Comme au jour de l’attentat ;

 

Dans tous les cas, il est là bien présent et a priori se réveillera un jour ou l’autre. Les dernières études (faites sur des soldats revenus du front) confirment qu’un trauma peut évoluer silencieusement durant plusieurs années voire dizaines et exploser lors d’un évènement “gâchette”: retraite, décès d’un proche …..

 

Il faut savoir que l’on retrouve exactement le même schéma traumatique dans les cas d’abus sexuels ou de graves maltraitances à répétition (des agressions, humiliations, manipulations…) ; à chaque fois que les capacités d’intégration sont dépassées et que l’on est, par là même, confronté au néant.

 

Pour devenir souvenir, pour être engrammée, une expérience doit trouver une représentation à l’intérieur du psychisme ; ici le trauma est vécu comme un corps étranger

 

On le voit ce schéma illustre la dissociation péri traumatique et en particulier l’amnésie traumatique ; amnésie traumatique qui pose de gros problèmes médico judiciaires en particulier dans les suites de traumatisme sexuel et de maltraitance infantile. La pathogénie est exactement identique avec en plus une personnalisation de l’agression. (suite à un attentat on sait que à peu près que 25 % des victimes développeront un état de stress post traumatique, le taux est de 40 % suite à un abus sexuel)

Dans le cas d’un attentat cette amnésie est un général moins problématique car tout le monde sait. L’amnésie est certainement aggravée par la solitude, la non-réceptivité du récit traumatique.

(La dissociation traumatique bloque la mise en mémoire verbale, ce qui provoque l’amnésie. En revanche l’encodage de type sensoriel reste intact.)

 

Il est évident que ce corps étranger intériorisé n’exclut pas tous les autres stresseurs extérieurs ni les autres stress internes.

 

D’où l’existence également des signes non spécifiques


Asthénie fatigue

Anxiété
Dépression
Troubles psychosomatiques

Troubles des conduites

Tout cela peut conduire à une altération de la personnalité :

1/ Blocage de la fonction de filtration :

Tout est danger ou menace

Il n’y a pas de différence entre ce qui est dangereux ou anodin d’où un état d’alerte permanent ou bien la personne ne ressent plus rien.

Exaltation de la réactivité générale ou à l’inverse émoussement affectif

Là aussi les correspondances au niveau du fonctionnement cérébral sont clairs

2/ Blocage de la fonction de présence :

Perte d’intérêt par rapport aux loisirs, au travail sensation d’avenir bouché

Perte de mémoire

3/ Blocage de la fonction d’amour

Tout l’amour passe dans l’espoir de sa propre réparation

L’autre n’est plus considéré comme un être libre à part entière, un autre soi-même

 

Et entrainer des évitements majeurs :

1 : les personnes ont peur d’un nouvel attentat

2 : mais surtout ont aussi peur de réveiller en elle le trauma

Qui est atteint ? Les concernés

 

Sur site


En plus des blessés on a ce que l’on peut appeler les

Sauveteurs professionnels

En premier lieu les forces de l’ordre police, gendarmerie, armée et leurs élites


GIGN : groupe d’intervention de la gendarmerie nationale

RAID : recherche assistance intervention dissuasion est une unité d’élitede la police nationale française

BRI: brigade de recherche et d’intervention, unité de police judiciaire

 

Pompiers

Secouristes de la Croix-Rouge

Les soignants professionnels

Médecins et infirmiers des pompiers et du SAMU et des SMUR

 

Les psychiatres, psychologues et infirmiers des CUMP

 

Les citoyens bénévoles

 

Les professionnels sont formés et préparés et malgré cela, et devant l’horreur,  ils peuvent présenter un phénomène de stress dépassé, un traumatisme psychique et sur la durée un burnout.

 

 

L’hôpital

Infirmiers, médecins, chirurgiens ne sont pas préparés à ces blessures de guerre. Là aussi le risque de trauma est important.

Que faire par exemple de tous les boulons qui se sont fichés à l’intérieur du corps ?

Les familles et les amis vont vivre une ou trois grandes étapes:


L’attente qui dans tous les cas est source d’un grand stress

 

Les recherches de son proche

L’annonce de la blessure ou du décès

(il faut que la préfecture confirme le décès. L’information doit être sécurisée, fait par un représentant de l’ordre)

 

Pour le professeur Crocq si la personne n’était pas effectivement présente lors de l’événement traumatisant et confrontée subitement au réel de la mort ou du néant elle ne peut vivre un trauma psychique.

Je mettrai pour ma part un bémol à cela en sachant que d’une part des parents viennent sur le site voir ce qu’il en est ou des images à la télévision peuvent personnellement toucher certaines familles (images de la chaussure jaune de son fils vue dans la mer à la TV  lors du crash d’avion de Sharm el Sheik ) ou ……

Dans tous les cas les familles auront à assurer des situations nouvelles, des bouleversements dans l’accompagnement des blessés, le deuil de l’un des leurs qui prendra souvent une forme aigue…

 

Pour la prise en charge de ce temps je crois beaucoup au bon sens, mais un bon sens adapté donc en connaissance de causes et de conséquences.

Pour ma part suite aux derniers attentats j’ai aidé ou plutôt formé en urgence les proches des victimes.

 

Il s’agit :

D’accompagnement (ne pas prendre de photos lorsque l’on peut agir….)

D’écoute


Laisser dire, non pas dans ce qui a pu exister et que l’on appelait l’abréaction : dans des cris, des hurlements, la désorganisation verbale et comportementale mais plutôt accepter que l’horreur soit dite en y aidant par l’apaisement.  Être contenant et sécurisant.

Ne pas laisser le silence s’installer, ne pas laisser le trauma s’enkyster. Ne pas renvoyer la personne au néant vécu

 

Exemple: après le réveil de son intervention chirurgicale un jeune qui avait vu mourir l’un de ses amis avec lequel il était attablé à une terrasse et s’effondrer l’autre ami sans en savoir plus ne cessait de répéter “pourquoi moi”. Le “pourquoi moi” ne correspondait pas en l’occurrence à “pourquoi cette catastrophe m’est-elle arrivée à moi” mais disait “pourquoi moi suis-je en vie et pas les autres”. C’est une culpabilité que l’on appelle la culpabilité du survivant qui est extrêmement fréquente en ces circonstances (bien étudiée chez les convoyeurs de fond). Sachant que ce garçon était d’Afrique du Nord j’ai conseillé de simplement lui dire Mektoub et cela a suffi. Réponse adaptée « le destin » qui permettait à ce jeune d’insérer ce ressenti dans une connaissance ou un vécu antérieur, dans son histoire, dans sa culture

Exemple : comment annoncer le décès de leurs parents à des enfants. J’ai aidé plusieurs personnes à réfléchir à la meilleure manière de faire.

Des parents endeuillés sont parfois incapables, en cet instant, de dire la situation ou à l’inverse le disent avec une effroyable violence

Il faut donc soutenir l’époux, l’épouse, les grands-parents pour qu’ils puissent annoncer la nouvelle

Il faut préparer l’enfant, toujours penser à augmenter ses défenses psychologiques, le faire dans un cadre au maximum sécurisé.

 

Tout cela de façon à éviter une survictimation.

 

 

D’information

 

Cela stabilise les personnes et ramène au réel

 

 

Les psychothérapeutes 

 

Peuvent présenter ce que les uns appellent le trauma secondaire ou trauma vicariant, les autres compassion fatigue. C’est une espèce de fatigue mêlée de découragement

 

 

Les autres citoyens

 

En principe on réagit bien

Certains comportements néanmoins peuvent poser problème pour la suite :

L’évitement,

Les personnes s’isolent du monde environnant, se replient sur elles-mêmes, n’accèdent plus à aucune information.

Le déni :

Les personnes continuent à vivre comme s’il ne s’était rien passé ; cela ne les concerne pas. Même des très proches de blessés peuvent réagir ainsi.

La fascination pour l’attentat.

De même qu’il existe chez les victimes la fascination pour le trauma, des personnes peuvent développer cette fascination pour l’attentat. Elles regardent en boucle, très probablement pour essayer de comprendre, à cause de ces représentations mentales  dont j’ai parlé tout à l’heure et qui  n’existent pas.

Mais cela ne crée pas les représentations mentales, cela crée éventuellement une fixation dans l’horreur.

 

Les décompensations de fragilité



Ces attentats touchent la société dans son ensemble

Phobies, évitement des lieux, des transports, des foules.

Surveillance des lieux, des issues de secours.

Surveillance des colis des paquets.

Ou au contraire comportements que j’appellerai contre réactionnels :

Des gens qui n’allaient jamais au concert y vont

Idem pour les terrasses de café

“On ne cède pas aux terroristes”

 

Sur le long terme le suivi et la prise en charge des victimes d’attentats va s’appuyer sur différentes démarches

Les aides apportées

 

Les approches thérapeutiques :

Chimiques, par des médicaments pour écrêter des symptômes trop douloureux

Psychothérapeutique,
J’y reviendrai

Les associations 

 

Soit Permanentes 

Comme l‘INAVEM: L’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM), créé en 1986, est la Fédération nationale des associations d’aide aux victimes.

 

Par ailleurs, en parlant d’attentats on ne peut pas ne pas parler de Françoise Rudzeski. Françoise R. a été grièvement blessée en 1983 lors de l’attentat du grand Vefour à Paris, où elle fêtait ses 10 ans de mariage (et a été infectée par le virus du SIDA suite aux transfusions).

En 1986 elle crée l’association SOS attentat pour venir en aide aux victimes et agir comme lobby auprès des autorités politiques françaises.

Elle est à l’initiative de la création du fonds de garantie des victimes d’actes de Terrorisme et autres infractions. 

Fonds de garantie auquel chacun de nous, peut-être sans le savoir, participe de par son assurance habitation responsabilité civile

 

Elle obtient en 1990 le statut de victime civil de guerre pour toutes les victimes du terrorisme et les otages.

 

Pourtant, le 22 septembre 2008 l’association SOS attentat est dissoute pour des raisons je pense de manque de fonds.

 

Soit associations de victimes de tel ou tel attentat

 

Suite au Bataclan : Life for Paris, 13onze15 fraternité et vérité …..

 

Elles sont dans tous les cas très importantes. Elles apportent une aide psychologique, une information sur les droits et un soutien dans les démarches.

J’ai aussi appris très récemment qu’il existait des associations de victimes qui se réunissaient pour des activités de loisirs telle la plongée

 

 

Les célébrations et les commémorations.

 

Pour les familles des personnes décédées et pour les victimes elles-mêmes, elles ont fonction de reconnaissance, reconnaissance par rapport à leur vécu, reconnaissance de la nation. Elle matérialise la réalité de la perte.

 

Elles peuvent être très mal vécues, vécues comme des séances de voyeurisme mais aussi et je reprends l’expression de certains : ceux qui n’ont rien vécu viennent se montrer, pavoiser.

Dans ces cas-là ce que je propose et qui donne de bons résultats c’est un recueillement privé. Les personnes, le jour anniversaire de leur attentat, prenne une demi-journée voir un jour de recueillement avec un rituel selon les croyances de chacun : allumer une bougie chez soi, entrer dans une église… Et cela pour éviter :

Le déni qui entraînerait une nouvelle dissociation psychique

La honte par rapport aux personnes décédées

La gêne ou même la colère

C’est ainsi instituer un temps de respect de soi et de son vécu, de son histoire

 

Les indemnisations

 

Elles reposent sur des expertises contradictoires.

Elles peuvent être très mal vécues si les personnes ne se sentent pas crues. A l’inverse elles peuvent participer à la réparation.

 

Il est vrai que dans tout ce système d’indemnisations doivent être reconnus les profiteurs, les menteurs, les usurpateurs ; ceux qui dans les premiers instants, les premières heures sont venus sur le site pour collecter des informations et se faire passer pour une victime.

Cela pour avoir une existence reconnue par les médias ou autres mais aussi pour être éligibles aux indemnisations.

 

 

Le procès 

 

Va réveiller le trauma dans un premier temps mais normalement si la personne est bien accompagnée le procès peut clore une étape et ouvrir à quelque chose de nouveau.

 

Les médias

 

Elles tiennent un double rôle :

Celui d’information et celui qui permet aux victimes de parler

Mais elles peuvent aussi jouer celui de déshumanisation en affichant des photos de personnes reconnaissables qui se trouvent alors à nouveau projetées dans le néant et à nouveau dépossédées, dépouillées d’elle-même, morcelées par l’image renvoyée. « J’ai été explosé en 1000 morceaux » dit l’une d’entre elles en se reconnaissant.

 

Lors des derniers attentats les médias ont montré plus d’éthique professionnelle que précédemment ; il reste tout le problème de Internet

Les maisons d’édition

 

qui peuvent solliciter un récit gratuit des victimes. Et la victime va accepter dans l’espoir de guérir ….

Les thérapies

Quelles que soient leurs fondements conceptuels, elles doivent être pratiquées par des thérapeutes qui ont connaissance du psycho trauma.

Elles doivent répondre à cette approche du trauma que fait le professeur Lebigot dans « Traiter les traumatismes psychiques, 2ème édition, Dunod, 2011, p22  » :

« Dans son trajet, l’image traumatique ne rencontre aucune représentation : celles-ci sont comme mises à l’écart de par l’espace qu’occupe le néant en train de s’installer. C’est le temps de l’effroi, sans pensées, sans idées, sans mots. Le sujet vit comme ayant été abandonné par le langage, c’est-à-dire par ce qui fait l’être de l’homme. Il traduit cette expérience indicible comme un abandon par l’ensemble des humains, mêlé d’un sentiment de honte devant sa déshumanisation. »

 

Il s’agit entre autres de transformer les images et perceptions brutes entrées par effraction en souvenir. Relier les perceptions émotionnelles et sensorielles et les intégrer aux représentations du passé, du présent et du futur dans un réseau d’interprétations et de significations.

Tout cela pour que le trauma perde progressivement son potentiel pathogène et puisse faire partie du récit autobiographique de la personne.

Cela ne ressemble en rien et même s’oppose à « banaliser un événement traumatique dans l’histoire d’un sujet »

Pour ma conclusion je laisserai la parole à Aristide Barraud (in « Mais ne sombre pas » Ed le Seuil, octobre 2017) et à l’un de mes patients :

Bien mieux que moi ils vous diront toute la complexité du monde dans lequel ils sont entrés

 

 Aristide Barraud :

« Tout le monde peut descendre dans la rue et tuer des gens. Mais ne pas sombrer dans la haine après ce qu’on a vécu, c’est une bataille de tous les jours, c’est pour les durs. On est des résistants face à la tentation de la chute. On est des maquisards de l’apaisement. Comme les autres, je résiste entre le marteau des douleurs et l’enclume des tourments. »

 

Monsieur S :

« C’est à Zaventem que je me suis rendu compte qu’on est des hommes avec un grand H. Tous les statuts, tous les carcans sociaux foutent le camp. Avant dans l’aéroport les gens ne se parlaient pas, subitement ça pète, c’est l’effroi … et des choses belles, sublimes se passent.

 

C’est une leçon d’humanité exceptionnelle, on n’était plus juif, musulman, chrétien, athée ; on était nu et perdu, on était nu et semblable et chacun priait ensemble. »