Jérôme a dû survivre à l’horreur des attentats
Jérôme, c’est son vrai prénom, était là dans l’enfer de l’attentat de Zaventem, l’aéroport de Bruxelles, le 22 mars 2016. Il a vécu l’horreur du chaos, des gravats et de la poussière, les corps déchiquetés, le sang et l’odeur de la mort.
Il a aidé et recueilli des souffles qui étaient les derniers.
Son témoignage relatant le 22 mars 2016 s’achève ainsi :
« C’est à Zaventem que je me suis rendu compte qu’on est des hommes avec un grand H. Tous les statuts, tous les carcans sociaux foutent le camp. Avant dans l’aéroport les gens ne se parlaient pas, subitement ça pète, c’est l’effroi … et des choses belles, sublimes se passent.
C’est une leçon d’humanité exceptionnelle, on n’était plus juif, musulman, chrétien, athée ; on était nu et perdu, on était nu et semblable et chacun priait ensemble. »
Mais après , il reste à vivre :
« Je ne reviendrai pas sur les détails qui font que les hasards de la vie font que j’écrive ici.
Juste essayer, puisqu’on me le demande, de vous faire partager mes réflexions.
La question à laquelle je dois essayer de trouver réponse est « Comment faire pour se retrouver et sortir le moins meurtri possible de situations extrêmes »
Après y avoir réfléchi, il m’apparait qu’il n’y a selon moi que quelques points.
Ne pas être seul.
Ne pas se réfugier dans l’empathie certes confortable mais ne permettant pas d’avancer.
Avoir un accompagnant médecin psy avec qui le « courant » passe.
Et enfin avoir un minimum d’intelligence pour pouvoir faire face et supporter la solitude et se reconstruire.
Lorsque vous vous retrouvez dans l’indicible et dans une situation ultra violente non prévisible après le choc vous êtes dans un état où plus rien ne vous touche, ne vous effleure et ne vous perturbe, vous êtes dans une routine de tristesse sans émotions et envies, même rire, sourire ou simplement trouver des événements beaux et bons vous deviennent étranger. C’est ce que j’avais appelé « Le vide sidéral du rien ». Avec aussi ma théorie du sapin de Noel, en effet rien ne peut et ne doit être fait trop vite et les « paquets » de souvenirs violents doivent être remisés au pied de votre propre sapin de Noel, avant qu’ils ne trouvent et retrouvent leur place dans le décor de votre ancienne vie. C’est pas rapide… et il est assez déstabilisant de voir s’imposer cette réalité d’avoir 2 Vies, une d’avant, une d’ensuite.
Ne pas être seul est à la fois nécessaire et utile mais affronter sa solitude doit être réalisé aussi concomitamment ; avant de faire de vous une unité « réfléchissante » solitaire aigrie et inabordable. Je profite de l’occasion pour remercier une Amie et un Ami qui de loin m’ont accompagné dans ce dédale machiavélique. Qu’ils en soient remerciés, jamais je ne saurai comment leur rendre la pareille, mais je serai là.
Ne pas être seul permet de garder un pied dans la « vraie Vie » et permet d’essayer de continuer sa routine. Le travail est essentiel aussi, mes clients ont été hyper compréhensifs et chaleureux. J’ai des anecdotes superbes à ce sujet .
Lorsque vous travaillez vous ne pensez plus trop à vous et à votre tristesse, je pense que cela vous permet de « trouver un autre soi » plus rapidement. « Les vertus du travail » : Idées Oh combien 19ème mais oh combien bienfaitrices. Je reste convaincu qu’il y a un Jérôme d’avant et un d’après. Reste à savoir, mais c’est un travail à faire bien après si celui que vous êtes devenu vous plait …. Si ce n’est le cas….. Alors… revenir sur le métier est la seule solution, mais c’est top…. C’est en quelque sorte une nouvelle naissance et une nouvelle vie.
Avoir un accompagnant médical spécifique est utile à la condition que cela match entre vous. J’ai eu le privilège d’avoir cette chance, pas évident de donner son âme démolie a quelqu’un, puis la confiance on l’a ou pas, elle n’est pas fractionnable c’est tout ou rien. Pour repartir il faut aller jusqu’aux fondations de sa structure personnelle et rebâtir patiemment pierre par pierre cet « Édifice » brisé. Combien de fois n’ai-je hurlé pleuré et me suis révolté n’étant pas d’accord avec ma béquille de psy ? Mais bon pour avancer il faut admettre aussi ses faiblesses et faire confiance…. C’est difficile, mais au point où on en est Pfffff même pas peur
Enfin, et dire ceci me peine, je suis convaincu qu’il faille un peu de réflexion donc un peu d’intelligence pour sortir de ces miasmes. Lire, se réadapter au beau, à la douceur, prend du temps mais il faut aussi avoir un minimum de « savoir d’avant » pour entreprendre une reconstruction telle que celle-ci. Je me souviens d’une réunion (du reste je n’y vais plus) de personnes présentes à Zaventem et j’ai réellement halluciné lorsque j’ai vu des gens avec des dossiers, coupures de presse et photos arriver. Comment est-ce possible de sortir de cela en ayant sur sa table de nuit ce genre de dossier (le rhum est certainement plus efficace ) ? Ce n’est aucunement un jugement de valeur ni même une gentille moquerie, mais je me pose simplement la question
Si je n’y pense pas, j’ai le sentiment de trahir les victimes parties trop tôt
Et si j’y pense trop, je me détruis
Oublier nous ne pouvons pas mais ce n’est pas les trahir que de se faire violence à se forcer à cet obligation de distance, c’est un respectueux deuil à faire.
A la date anniversaire, le 22/03 , afin de sentir que je ne les oublie pas, je donne ma journée, je reste seul chez moi et une bougie brûle en souvenir, ça peut être un moyen. A chacun de trouver le sien.
Une amie me disait il y a peu… « hop, faut passer à autre chose les vies continuent » ; avancer oui il le faut vraiment, et ce n’est pas un irrespect qu’avancer.
« Rien ne sera pardonné mais tout sera pardonné » Kundera »