L’Église comme terrain propice aux abus
1/ L’Église est un milieu particulier car d’emblée, normalement, il incite à la confiance. On n’est pas dans une cité dominée par les dealers, ni dans un pays où l’Église est martyre, ni dans un camp de concentration, quoiqu’on puisse l’être en plus. On est au sein de l’Église, notre mère, à la suite du Christ au service de l’évangile et de nos frères, lieu de paix et de fraternité. Nous pensons ainsi pouvoir jouir de la liberté des enfants de Dieu. La réaction normale est donc entre chrétiens de laisser tomber ses défenses et faire confiance à l’autre, aux autres. Et c’est pourquoi les abuseurs auront la tâche facilitée car ils ne se heurteront pas à de la méfiance ; ils pourront longtemps agir sans être reconnus car les personnes n’auront pas leurs antennes allumées pour repérer les prédateurs ou les systèmes abusifs.
2/ Dignité et responsabilité
Chacun de nous a la conscience vive de l’égalité de dignité entre chaque homme ou femme ; néanmoins cette conscience parfois peut être ébranlée ou plutôt mise en fragilité par le système hiérarchique et de l’Église dans son ensemble et de tout institut ou communauté particulière. La prise de responsabilités (hiérarchique, de supervision, d’enseignement, de logistique, d’accompagnement …) est une zone à risques qui automatiquement rompt la facilité de l’harmonie entre les personnes. Il faut beaucoup d’humilité, de sagesse, de compétence, de respect de l’autre et surtout de remise en question de soi et je pèse chacun de mes mots, pour exercer une responsabilité en Église. Ailleurs, la reconnaissance par l’argent, par les contacts enrichissants, par une promotion professionnelle engendre moins de frustrations, en tout cas nécessite moins d’abnégations.
Et en Église et je tiens ici à le préciser, c’est le supérieur hiérarchique ou le responsable ou l’accompagnateur qui est l’unique garant de la relation. Si par exemple une femme se comporte durant le sacrement de réconciliation de façon provocante, la responsabilité repose entièrement sur le prêtre qui se doit de gérer la situation de manière saine à défaut d’être sainte.
3/ Par cet exemple j’en arrive au cadre. Le cadre qui doit toujours être respectueux et de la situation et des personnes. En disant cela je pense à une personne abusée par un prêtre dans son enfance et dont le supérieur de la communauté lui a demandé pardon sur le quai d’une gare, entre 2 trains, ou à cette autre qui accompagnée par un couple racontait les horreurs de la guerre vécue et les morts de toute sa famille pendant que la maman toute joyeuse laissait caracoler les enfants dans la pièce. Les exemples sont malheureusement pléthores.
Le cadre doit être respectueux mais aussi protecteur ; pour cela il faut établir une juste distance, celle qui permet à l’esprit Saint de s’exprimer et qui respecte la liberté de chacun, sans intrusion, sans forçage ni psychologique ni spirituel.
Ainsi chaque situation doit répondre à des exigences déontologiques propres ; par exemple lors d’un accompagnement spirituel l’accompagnateur ne doit jamais toucher la personne accompagnée ; il peut montrer sa compassion en tendant un mouchoir en papier. Il en est de même lors des prières de guérison : combien de priants ont touché des zones corporelles en particulier sexuelles au prétexte de guérison d’abus précédents et ont en fait renouvelé voire fait flamber le traumatisme initial. Ceci peut être qualifié d’agressions sexuelles car les personnes sont prises par surprise ou contrainte.
Imposer les mains n’est pas poser les mains
Ceci est de l’ordre de la prévention de base.
4/ 3 régimes de déviances sectaires :
L’un qui touche « seulement » l’organisation et les structures. Les statuts ou règles de vie laissent trop de pouvoir à une seule personne, sans droit de regard extérieur, sans collégialité, sans contre-pouvoirs possibles.
Une autre dérive est celle liée à une personnalité problématique. Dom Dysmas de Lassus l’appelle le « pivot ». Il s’agit d’une personne qui va fonctionner comme étant le centre de tout. Le plus souvent c’est une personne qui est ou qui a été en responsabilité, genre gourou, qui garde au long des années son influence même lorsqu’elle n’est plus en charge ; mais cela peut-être aussi quelqu’un d’extérieur à la communauté qui a une très grande aura et qui lorsqu’elle est invitée prendra toute la place.
Enfin la 3ème dérive est celle liée à une formation théologique ou doctrinale qui n’est pas juste voire qui est perverse.
Les 3 régimes peuvent être associés.
Je m’arrête un instant sur la formation :
Certains enseignements sous couvert d’un enracinement soit dans la parole de Dieu soit dans La Tradition ou bien sous couvert d’une transparence à l’Esprit Saint vont
- soit assujettir les personnes et les conduire directement à faire le mal
- soit les empêcher d’établir une relation avec leur Seigneur
- soit nier leur identité même.
(il en est ainsi de la mariolatrie qui remplace la relation au Christ,( les personnes croient recevoir l’ES, ils ne reçoivent que du vide), de l’amour d’amitié ou du Verbe fait chair qui autorisent ou même favorisent les abus sexuels, mais aussi de l’hyperspiritualisation qui en niant le côté humain en vient à s’opposer à l’incarnation même du Christ et a pour corollaire une dissociation des personnes ; ce dernier point est fréquent et commun à plusieurs communautés.
Lorsqu’il y a déviance au niveau de la formation il y a toujours dérive au niveau structurel, (des statuts ou des règles de vie ou du fonctionnement interne). L’inverse n’est pas vrai.
5/ On me dit souvent : « les victimes sont des personnes fragiles » ; en gros ce sont elles qui l’ont un peu cherché ou bien c’était un peu inévitable. Mon expérience me montre que les victimes sont représentatives de la population générale et fragiles ou plutôt détruites, elles le sont devenues par le fait de l’abus.
Et en plus si elles sont fragiles dès le départ on doit d’autant plus les respecter ! Il n’est jamais écrit sur le front de quiconque : bonne à se faire abuser car tout le monde est susceptible de se faire abuser ; selon qui l’on est on intéressera l’un ou l’autre abuseur. Ainsi tout va dépendre non pas de la victime mais de l’abuseur : immature, jouisseur, opportuniste, obsessionnel, mégalomane, mythomane … voire pervers.