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Nos constats

Les abus, tous les abus qu’ils soient physiques, sexuels, psychiques ou spirituels, provoquent des dommages aux personnes réels, graves, cachés et partiellement réversibles. Ils nous confrontent à une double problématique, celle de l’emprise et celle du trauma psychique. Une troisième problématique parfois s’ajoute, celle de la torture. Et ces trois notions sont quasiment inaccessibles à ceux qui ne les ont pas vécues.

1- Et pourtant ils provoquent des dommages importants

 

1/ Commençons par l’emprise :

L’emprise est l’envahissement du psychisme d’un individu par celui d’un autre ou de plusieurs autres.

La caractéristique de l’emprise est qu’elle pénètre et enveloppe à notre insu. Un enfant à qui l’on offre des bonbons, des jouets ne peut se douter que ce donateur est mauvais, de même que celui ou celle que les parents invitent toutes les semaines à leur table ne peut être celui ou celle qui va le détruire. Ici, la confiance s’installe tout de suite. On a appris à l’enfant à ne pas mettre les doigts dans la prise et à ne pas manger ce qui traine par terre, mais de l’abuseur, parent, ami ou responsable, on ne lui a pas appris à se méfier.

Pour l’adulte l’emprise est plus prégnante encore. Son installation se fera pratiquement toujours sur le même modèle : séduction (la proposition faite correspond complètement aux attentes de la victime) ou sollicitude extrême, mise sous dépendance (ce qui altère sa liberté), alternance valorisation /dévalorisation qui conduit inéluctablement à l’effacement de ses repères fondamentaux qu’ils soient extérieurs ou internes.

Suite à cette perte de confiance en ses compétences, en sa propre pensée, en son propre ressenti, la personne va s’en remettre peu à peu à l’autre jusqu’à se désapproprier de son propre moi ; et vidée d’elle-même elle va embrasser la pensée et le comportement de l’agresseur et aller, inconsciente de son état, jusqu’à accepter l’inacceptable.

 

2/ Continuons par le trauma psychique.

Ce n’est qu’en 1980 que la névrose traumatique fait son entrée dans les classifications du DSM 3, le « manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux”,
sous le nom de PTSD (post traumatic syndrom desease) ou en français ESPT (état de stress post traumatique).

En temps normal le vécu ordinaire de l’existence s’intègre dans le cadre de compréhension puis de mémoire de la personne.

Lors d’un stress même très important ou violent ou aigu l’appareil psychique va réussir au cours du temps à s’adapter à la situation et après un temps de souffrance, éventuellement aidé par des traitements divers, va reprendre sa fonctionnalité initiale.

A l’inverse lorsque l’événement par sa violence et son caractère inattendu dépasse les capacités d’intégration et d’élaboration du psychisme et confronte l’individu au néant, « au réel de la mort », dit le professeur et général d’armée Louis Crocq, le trauma va faire ce que l’on appelle effraction : il va pénétrer à l’intérieur du psychisme et il va y rester fiché, comme une bulle, sans capacité d’évolution. Ce modèle, initialisé par Freud, a été confirmé depuis ces dernières années par les avancées en neurosciences : l’amygdale cérébrale lors d’un traumatisme psychique se trouve soudainement isolée, en rupture avec les circuits neuronaux du cortex cérébral et de l’hippocampe. Et les images, émotions, sensations du trauma enfermés dans cette amygdale sans capacité d’évolution et sans accès à la pensée et à la mémorisation vont désormais exister de manière autonome et vont être source, immédiatement ou après un temps de latence variable, d’une symptomatologie pathognomonique.

Historiquement, la violence et la confrontation à la mort ont été vues comme causes nécessaires du trouble. Les militaires en ont été précurseurs de sa définition. Cependant le dévoilement croissant des conséquences des actes pédophiles, mais aussi du harcèlement, de la multiplicité des maltraitances qui ne s’accompagnent pas toujours de violences physiques, oblige à considérer d’autres facteurs étiologiques. Mais comment les définir et les qualifier ? L’expérience de l’association met le doigt sur le rôle de la répétition des maltraitances mais aussi et peut-être surtout de l’intimité humaine, de l’intériorité humaine dans ce qu’elle a de plus intime. Ceci concerne ainsi la sexualité, mais aussi les aspirations les plus élevées de l’homme. Les dérives sectaires produisent les mêmes conséquences en termes de traumatisme psychique qu’un attentat ou un acte pédophile. Ceci touche aujourd’hui aussi bien des mouvements sectaires reconnus comme tels que des dérives au sein de religions traditionnelles. Ce phénomène est sans doute en croissance.

La notion de traumatisme psychique, aujourd’hui scientifiquement bien établie, recouvre donc une grande diversité de situations et de causes, dont nous n’avons cité que les principales, celles qui ont jalonné les progrès de la science et de la prise de conscience. Le trauma psychique à l’origine du syndrome de répétition caractéristique (reviviscences et évitements) s’accompagne le plus souvent d’autres troubles, comme la dissociation psychique. Non pris en charge ils mettent en cause, souvent gravement, la capacité de la personne à mener une vie libre, adaptée et satisfaisante.

 

3/ La torture

Y a-t-il une relation entre torture et abus ?

Pour les abus comme pour la torture l’intentionnalité est au cœur même du processus psychopathologique. Et à la différence des tremblements de terre ou même des attentats, il y a ce que l’on pourrait appeler un bourreau qui s’attaque à une personne bien particulière, pas des personnes indéterminées mais une personne choisie.

La torture physique en tant que violence physique ne rentre pas dans le cadre des abus. Cependant la notion de torture déborde du cadre de la torture physique pour inclure des violences psychologiques. Le chapitre II du titre II de l’article 222-1 du Code Pénal français la définit comme « atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne ». Ainsi les faits d’abus peuvent parfois être qualifiés de torture.

En conclusion de ce chapitre il y a donc une personne qui est en recherche et en face quelqu’un qui va opérer un rapt de son désir, de son bon désir et qui va s’en servir :

  • au profit de son narcissisme et de ses intérêts particuliers que ce soit le pouvoir, l’argent, le prestige, le sexe …
  • au profit d’un projet, bon ou mauvais, en tout cas ayant l’apparence du bon, de l’indispensable
  • au profit d’une cause

La victime va être réifiée, chosifiée sans capacité de prendre conscience de la gravité de ce qui lui arrive.

La thérapie est de ce fait tout à fait particulière car ici le thérapeute dans un premier temps ne doit pas traiter des conflits intra psychiques, ne lutte pas contre la résistance du patient mais œuvre avec le patient contre l’autre, l’abuseur, qui a pénétré tout son être ; car des années après voire des décennies il est toujours là envahissant et glauque.

2- Ils provoquent des dommages longtemps cachés

 

Comme on vient de le voir le progrès des sciences humaines a permis à une époque récente de corréler le ou les événements traumatiques et les dommages à la personne. Plusieurs facteurs ont contribué, et contribuent encore parfois, à maintenir cette réalité cachée.

Les événements traumatiques font souvent l’objet d’une amnésie chez la victime, temporaire ou parfois définitive.

La victime et son environnement peuvent aussi avoir des difficultés à corréler le ou les événements et leurs conséquences qui peuvent apparaitre longtemps après. En outre l’abuseur, qui commet des actes répréhensibles, va mettre en place des stratégies, parfois très sophistiquées, pour s’assurer du silence de la victime et de l’ignorance de son environnement, ou de l’absence de réaction.

Outre l’emprise et le trauma psychique le tableau clinique est multiforme. Il comprend des éléments spécifiques et non spécifiques.

Les victimes d’actes pédophiles souffrent généralement d’une dissociation psychique, qui est un trouble spécifique. Pour résumer et en simplifiant au moment où elles subissaient l’acte elles se sont dissociées de leur corps ou « sont sorties de leur corps ». Ceci associé au traumatisme a généré une dissociation du psychisme, décrite dans la littérature scientifique. Les victimes de dérives sectaires ont vécu dans un système d’emprise extrême avec des conséquences spécifiques tel le « décervelage » décrit par Racamier.

Les abus ont en outre des conséquences en termes de troubles psychiques et physiques qui ne sont pas spécifiques, tels les troubles anxieux, troubles du sommeil, troubles alimentaires, troubles gynécologiques et sexuels (endométriose d’après certaines études) … avec à terme des troubles de la personnalité.

Ce complexe de troubles spécifiques et peu connus et de troubles non spécifiques variables selon les personnes contribue à maintenir les mécanismes cachés.

3-   Des troubles partiellement réversibles

L’abus provoquant un trauma psychique va toujours avoir un effet immédiat sur la personne, avec une désorganisation de ses facultés et, si c’est un enfant, une désorganisation de sa capacité à grandir et se développer. S’il y a amnésie traumatique ou absence de reconnaissance de l’événement la victime va, tout en subissant les effets des troubles, pouvoir dans certains cas mener une vie en apparence normale, en s’appuyant sur des repères extérieurs. Sauf si elle achève sa vie dans cet état, à un moment donné, réveillée par ce qui ressemble de près ou de loin à l’évènement initial, il va y avoir une prise de conscience, une révélation, qui va demander à être partagée. Le partage initie un cheminement, et dans le meilleur des cas un bon cheminement. Nous y reviendrons.

Les troubles consécutifs à l’abus et au trauma psychique ne sont que partiellement réversibles. L’empreinte sur le psychisme est grave, il y a un avant et un après et l’on ne revient jamais à l’avant.

4-   Vérité et attribution

 

L’abus place la victime dans une situation de grande confusion par rapport à la vérité et à l’attribution.

La question de la vérité se pose d’abord pour les actes eux-mêmes. L’amnésie traumatique et l’action de l’abuseur pour imposer le silence se conjuguent et contrarient l’émergence de la vérité. Il arrive également que lorsque la victime rapporte les faits à son environnement celui-ci réagissent négativement et préfère maintenir les faits cachés. Le nom de l’association, « C’est à dire », est un manifeste en faveur du dévoilement de la vérité.

 

5-   Guérison ?

Quelle est alors l’issue du processus de réhabilitation de la victime, et y en a-t-il une ?

L’homme est ainsi fait que les actes ayant conduit à un trauma psychique créent une situation en partie irréversible. L’abuseur ou le système abusif, par son agression, lance la victime dans une aventure existentielle marquée à l’origine par l’amnésie ou le mensonge, souvent une fausse culpabilité et des troubles constituant un handicap à vivre. Le pronostic vital peut être engagé. La victime manque, souvent dramatiquement, de repères intérieurs pour la guider sur un chemin de réhabilitation et de vie.

Nous avons décrit des étapes d’un processus de réhabilitation, qui sont autant de sujets incontournables : vérité et attribution, deuil de ce qui aurait pu ou dû être, justice et soutien social.

Y a-t-il une fin ? Pourquoi moi ? Quel sens cela a-t-il ?

Ce n’est qu’à la fin du parcours que ces questions peuvent être abordées avec fruits, afin que chacun, dans une liberté retrouvée, puisse apporter sa réponse personnelle.

Ce site a donc pour raison d’être d’aider les personnes victimes d’abus à comprendre et à trouver l’aide la plus ajustée possible.