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Tribune
Docteur Isabelle Chartier-Siben Psychothérapeute, médecin, victimologue et présidente de l’association « C’est à dire » d’aide aux victimes d’abus.
La psychothérapeute Isabelle Chartier-Siben, qui préside l’association « C’est-à-dire » d’aide aux victimes d’abus physiques, psychiques et spirituels, revient dans ce texte sur la dissolution de la communauté du Verbe de vie. Elle souligne que cette décision est intervenue très tardivement, en raison d’un « manque de vigilance pastorale ».


• Isabelle Chartier-Siben, 
• le 11/08/2022 à 14:17 
• Modifié le 12/08/2022 à 11:06
Lecture en 4 min.

Lien de l’article sur le site de LA CROIX : Verbe de vie : « Pourquoi l’Église n’a-t-elle pas su entendre les alertes sur les communautés déviantes ? » 

Fondée en 1983, la Communauté du Verbe de vie a été dissoute en juin dernier. Photo d’illustration.

Une communauté que l’on peut appeler « communauté nouvelle » a été dissoute fin juin. Ce n’est pas la première et ce ne sera pas la dernière. On ne pouvait plus rien faire, dit-on. À mon sens, il s’agit d’une catastrophe, une catastrophe humaine et spirituelle. Des personnes qui se sont totalement données au Christ, corps et âme, se retrouvent quelques années, voire quelques décennies plus tard « arrachées à leur vocation ». On les aidera, dit-on. Mais pourquoi ne pas les avoir aidées plus tôt ?

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La question que l’on peut se poser, et que l’on se pose toujours face à de telles décisions, c’est pourquoi avoir laissé grandir une telle communauté et, par là même, tant de souffrances ? On ne savait pas, dit-on. Mais si, et je l’affirme haut et fort, certains savaient. Les évêques successifs garants de la communauté savaient, les évêques des lieux de vie de la communauté savaient, la nonciature savait, la Conférence des évêques de France (CEF) savait. Peut-être me trompé-je en disant qu’ils savaient. En tout cas ils étaient prévenus et ce, pour cette communauté particulière, depuis au moins vingt ans. Ils recevaient régulièrement de très lourds dossiers fort bien étayés, où tout ce qui est dit aujourd’hui était déjà dit.

Naïveté et impudence

De manière plus générale, quel est ce hiatus entre « être prévenus » et « savoir » ? Le savoir fait appel à une connaissance, une compétence, une capacité à entendre mais peut-être, et surtout, à une exigence de vérité. De la part des responsables, il y a de la naïveté, de l’impudence, tel cet évêque qui me dit : « Mon rôle à moi est d’enseigner, le vôtre de vous occuper des victimes. » Mais, plus que tout, il y a une méconnaissance et une incapacité à reconnaître les phénomènes de perversion et de perversité, ainsi que leurs conséquences.

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Derrière les tapis rouges qui leur sont déroulés, les sourires et les paroles heureuses, la liturgie soignée, les prières flamboyantes, les hauts responsables ne savent pas voir les humiliations vécues, les manipulations mentales et spirituelles, les dérèglements alimentaires, les surcharges de travail, les atteintes sexuelles, les viols du corps et de l’âme, la pensée unique imposée, les problèmes graves de santé, les médicaments d’ordre psychiatrique, les heures d’angoisse au creux de la nuit, les automutilations pouvant aller jusqu’au suicide. La multiplicité des maltraitances conduit à un traumatisme psychique caractérisé identique à celui que vivent les victimes d’attentat, et l’emprise que subissent ces personnes entraîne inévitablement des dissociations psychiques de toutes sortes et des pertes d’identité. Ainsi est-il facile ensuite de dire que celles et ceux qui dénoncent le système sont fragiles, et donc non crédibles ! Oui, fragiles, ils le sont devenus, mais par manque de vigilance pastorale.

Des fruits trompeurs

Le « peuple de Dieu » n’aide pas les responsables dans ce discernement, car les chrétiens sont tout contents, à raison, de trouver des lieux où se ressourcer individuellement ou en famille : « des vacances avec Dieu » une formule tout compris ! « On juge l’arbre à ses fruits, et les fruits sont bons », me dit-on. Oui, toutes ces communautés ont eu l’immense avantage de faire accéder à la notion d’une sainteté ouverte à tous, pas juste réservée aux clercs et aux contemplatifs. Mais les fruits peuvent être trompeurs, en témoigne le nombre effrayant de personnes en souffrance sorties de ces communautés déviantes ou encore en leur sein. Et si l’on creuse un tout petit peu, si l’on écoute avec le cœur, on entend les gémissements des uns et les mensonges des autres. Encore faut-il être formé. Le déni de réalité se conjugue en milieu chrétien avec l’hyperspiritualisation, masque radieux de tous les abus.

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La méconnaissance des voies spirituelles est cruelle. Peut-on imaginer le tentateur arriver en criant : « Je suis méchant, je veux vous détruire, méfiez-vous de moi » ? Non, le tentateur avance en habit de lumière et use de séduction et de ruse.

Plusieurs urgences

Il y a aujourd’hui plusieurs urgences : que ceux qui sont en charge des visites canoniques ordinaires ou extraordinaires, des visites apostoliques, c’est-à-dire ceux qui sont en charge de surveiller et aider, soient formés et réellement formés. Il faut aider ces communautés à faire œuvre de vérité sur leur histoire, à dénoncer et à condamner les abuseurs structurels, les séparer de leurs victimes, les empêcher de nuire davantage ; veiller à ce que les statuts et les règles de vie soient à la fois théologiquement catholiques et respectueux de chacun, que l’enseignement donné ne conduise pas directement à abuser ; mais aussi accueillir et prendre en charge ceux qui éprouvent des difficultés et se dénoncent eux-mêmes ; il faut également chercher assidûment une issue favorable, une capacité à vivre à des communautés qui, aujourd’hui, ont en leur sein des personnes totalement détruites par le système abusif antérieur, des personnes touchées mais moins abîmées, des personnes nouvellement entrées… D’où l’impératif absolu de réagir très vite, et intelligemment, dès les premières révélations de dysfonctionnements.

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Sachons profiter de ce temps de synodalité pour recueillir toutes les forces vives ; que chacun ne se contente pas de travailler dans son pré carré, cherchant à saisir les courants d’air ascendants du moment. Il y a clairement un seuil à franchir pour intégrer la prise en compte de la prédation de l’innocence, notamment dans sa dimension spirituelle, dans l’anthropologie et les pratiques de l’Église. L’enjeu est de taille. C’est une question de dignité humaine et de respect de la relation personnelle à Dieu.